Sur l’urgence
Pierre Jacobs – Antenne 110, Bruxelles
J’ai pensé écrire quelques lignes sur un moment d’une journée, du lever du mardi matin jusqu’au début du premier atelier, temps qui se révèle compliqué pour plusieurs enfants et particulièrement pour Rachel depuis quelques semaines. À peine réveillée, elle se montre très agitée, concernée par tout ce qui se passe, comme par exemple l’habillage des autres enfants, les paroles de l’un ou de l’autre. Rachel cherche à être « la chef » et n’hésite pas pour cela à crier, à agresser enfants et parfois même adultes. Feindre de l’ignorer (en tout cas jusqu’au coup), car dans ces moments j’ai l’impression qu’elle se montre à voir, l’arrêter fermement n’opère que dans l’instant présent et très vite elle repart de plus belle. Dès lors, que faire ? Comment l’apaiser ? Comment tenter dans ce temps-là un décalage, un pas de côté permettant d’ouvrir un autre champ que celui où elle fait et dit être la chef ?
Depuis un bon mois, avec Nathalie, nous avons fait deux propositions, qui au départ étaient adressées à tous les enfants, et qui ne sont pas sans effet, en tout cas pour le moment, sur l’atmosphère volcanique dans laquelle nous étions souvent plongés jusque là le mardi matin. D’une part, Nathalie a proposé à certains enfants de s’habiller en bas, et ensuite de prendre le déjeuner en regardant la télévision. Plusieurs enfants ont été preneurs de cette offre, dont Rachel, et vont depuis s’habiller et prendre le déjeuner dans la pièce télé. Cette division du groupe, ce deuxième espace constitué a nettement allégé l’ambiance qui régnait jusque-là. D’autre part, la semaine suivante, j’ai proposé à plusieurs enfants de venir prendre à la cuisine un petit déjeuner avec un menu plus inhabituel que de coutume : œufs sur le plat et lardons. Rachel s’est alors montrée intéressée par ce déjeuner et me demande depuis, chaque mardi, de pouvoir y avoir une place. Au départ, j’ai posé une condition minimale à la présence des enfants à ce petit déjeuner qui est, en gros, que cela se déroule dans une ambiance sereine. D’emblée, cette condition a posé difficulté à Rachel (ce n’est pas la seule) dans la mesure où elle a cherché à s’approprier la maîtrise de ce moment. Nous avons du introduire une série de limitations et de possibles :
– Avec Nathalie, nous l’avons invité, la semaine dernière, à choisir entre nos deux petits déjeuners. Jusque là, Rachel demandait pour s’habiller en bas, regarder la télé et ensuite venir me chercher pour prendre avec moi le déjeuner. Une limitation donc, mais aussi un possible, celui de faire un choix et de s’inscrire à une place. Rachel a su faire ce choix et a décidé de venir à la cuisine.
– Une limitation par rapport à la nourriture où elle a tout de suite mis en place différentes « stratégies », par exemple en exigeant, en me suppliant à genoux, en chapardant dans l’assiette d’un autre enfant quand j’ai le dos tourné, pour obtenir le plus possible, voire tout pour elle. Mais un possible aussi, par exemple lorsque j’ai soutenu son initiative d’ajouter à notre menu un triangle de fromage qu’elle sert à chacun d’entre nous.
– Une limitation, sous forme d’un rappel des conditions de la présence de chacun à ce déjeuner, lorsqu’elle cherche à dominer ou intimider un autre enfant.
Bref, au-delà du petit-déjeuner, qui n’est qu’un prétexte au fond, ce que je trouve intéressant, c’est qu’à partir de son envie d’être là, un nouvel espace s’est ouvert : un lieu où des paroles s’échangent, et plus seulement des ordres, des injonctions, des cris, des rapports de force.
Si cela a permis à Rachel un petit décalage, il reste en même temps très fragile et éphémère. Très fragile, car si certaines limites sont entendues, elle reste dans un schéma d’action où elle est sur le seul axe imaginaire et où l’autre demeure son rival. Éphémère, car les deux dernières semaines, entre la fin du petit déjeuner et le début de l’atelier, je pense qu’elle s’est retrouvée au bureau pour avoir frapper un enfant. Ce ne fut pas le cas ce mardi mais nous avions entre adultes mieux pensé notre présence entre la fin du déjeuner et le début de l’atelier.
« Pas extraction » car il me semble que la présence (prise de position, offre) de certains autres adultes de l’Antenne lui permettent davantage d’être « extraite » (de s’extraire) de cette position d’Autre non barré, qui fait la loi (en tout car sur un temps défini et en lien à la présence réelle de l’adulte). Dans ces moments, ce n’est plus la même enfant. À mettre au travail donc, de mon côté !
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