n° 51
les ateliers du ri3
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Modérateur : Jean-Robert Rabanel
UN DERNIER FLORILÈGE DES JOURNÉES
Le RI3 : ne pas faire du soin une affaire d’état
Anne-Marie Sudry
« Le langage est la maison de l’être. Dans son abri habite l’homme. Les penseurs et les poètes sont ceux qui veillent sur cet abri. »1
Ceux qui sont dans l’urgence, hébergés dans une institution, comment leur proposer l’abri et l’hébergement de la langue, ceux-là dont les lettres sont en souffrance, en attente d’être déposées et transcrites sur une Autre scène ? Ce pourrait être ainsi que le propose Philippe Lacadée, par le truchement de la poésie.
D’une certaine clinique produite par le discours scientiste ambiant, il n’était pas question durant ces journées du RI3, même si les recommandations de la Haute Autorité en Santé incitent à user du discours du maître et tout tenter pour que ça marche. Aucune place n’a été cédée à cette clinique du regard, non plus celle dont parlait Michel Foucault2, mais celle trop actuelle, au regard implacable incarné dans des techniques d’imagerie cérébrale, des questionnaires sur papier glacé, qui vise l’objectivation des symptômes et l’anéantissement du sujet.
Référé à la psychanalyse d’orientation lacanienne, c’est avec beaucoup de prudence, mais résolument, que chacun a présenté son travail. Travail qui n’affichait à aucun moment des « on sait que », introductifs aux publications scientistes. Sur un ton décidé, se dessinait un réel plaisir à raconter toutes ces rencontres avec un autre qui n’en pouvait plus d’être patient. Nous n’avons à aucun moment entendu de prétention à détenir un savoir, mais plutôt un savoir faire de ces rencontres un pari, le surgissement d’une trouvaille possible, face à des sujets dans des situations impossibles. Pas de recettes, pas de protocoles ; face à l’urgence, les différents intervenants étaient armés de pas-science. Même si, venant des ministères, affluent des recommandations à l’encontre de notre éthique, nous pouvons ne pas faire du soin une affaire d’état.
Pour bienveillante qu’elle était, l’écoute attentive des animateurs d’atelier n’était pas complaisante. L’affaire n’était pas entendue, et la lecture des différents travaux pouvait prêter à critique, à commentaires. Dans notre atelier, invitation fut faite de ne pas céder à la tentation d’avoir un certain usage de la langue, à savoir par exemple que La Mère Ravageante n’existe pas, pas plus qu’une novlangue psychanalytique qui récupèrerait des mots pour les vider de leur sens, établissant ainsi des concepts valables pour tous.
Grâce aux différents exposés, la conviction de chacun a trouvé là de quoi se nourrir et avancer.
1- Heidegger M., La lettre sur l’humanisme, questions III et IV, Gallimard, 1976, p.67.
2- Foucault M., Naissance de la clinique, Puf.
Nous sommes en guerre !
Que les adorateurs des protocoles tremblent…
La psychanalyse ne s’éteindra pas !
Christine Maugin
Nous fûmes 750 à nous retrouver dans l’amphithéâtre de la Faculté de médecine pour ces deux jours sur le thème « Cas d’Urgence ». Nous ne savions pas, lorsque nous sommes arrivés, accueillis notamment par Daniel Roy, Maryse Roy et Philippe Lacadée, combien ces journées allaient nous transformer…
Le ton fut donné d’emblée par Judith Miller : « de la puissance nous en avons besoin, nous sommes en guerre, nous avons à défendre la psychanalyse qui est agressée par les évaluateurs qui prétendent savoir ce qu’est une bonne pratique, qui prônent des méthodes de dressage des conduites et les appliquent à tous afin que disparaissent toutes manifestations de la souffrance de certains êtres qui sont voués à être immergés dans le langage. Ils veulent leur supprimer ce qui est leur caractère d’être humain ».
Ces journées se sont ainsi tout de suite inscrites dans ce contexte politique, comme une contre offensive, une rébellion organisée contre ceux qui ont l’idéal de maîtrise, qui suivent des protocoles et des recettes en oubliant le propre de chacun, sa part de subjectivité, bref, en traitant l’être parlant, le sujet, comme leur rat de laboratoire, faisant ainsi disparaître le hiatus, la marge, entre le stimulus et la réponse, propre à l’être humain. La psychanalyse dit NON à ces pratiques et chacun de nous a à s’en démarquer, à les combattre, à ne pas céder sur notre désir que vive la psychanalyse !
Comme Jean-Robert Rabanel l’a redit, chaque don se fait sur fond de perte, que le sujet peut subjectiver grâce à l’acte de l’analyste qui isole la jouissance en jeu. Là encore, différence majeure avec les cognitivistes et autres adorateurs des expériences de laboratoire, chacune des réponses valent de par leur effet et leur part créative !
En reprenant Daniel Roy, on peut dire que le temps logique du dire n’est pas chronologique, il est feuilleté, parsemé d’accidents de parcours du langage, que sont les mots d’esprits, les lapsus… Ceux-ci sont la base même de travail de la psychanalyse ; c’est dans le ratage, dans cette marge même que le sujet se dessine, se décide. La structure humaine du temps actualise la perte ou le gain dans l’urgence du dire, quelque chose du plus familier surgit et nous ne savons jamais à l’avance ce que cela sera, ce que l’on en fera, ce qu’elle nous apprendra. La psychanalyse offre à chacun sa chance inventive, l’accueille, se laisse surprendre par l’impromptu du surgissement du sujet.
Marie-Hélène Brousse a ainsi soulevé un point important quant à l’urgence, qui, en tant que S1, ouvre à des S2, file d’attente, prévision, horaires, emploi du temps… L’urgence s’inscrit socialement dans cette paire ordonnée de signifiants, alors que, de manière subjective, l’urgence marque une rupture du désir. Elle fait surgir l’objet comme substance hors métaphore de l’inconscient. L’urgence est un réveil qui fait événement, où il y absence de temps. Le traitement de l’urgence par la psychanalyse n’est pas le traitement du passage à l’acte, mais c’est le traitement d’un temps qui peut permettre à chacun un réveil. Jacques Borie propose de contrer le risque de la précipitation (que pourrait supposer un traitement médical de l’urgence, comme l’a souligné Jean-Pierre Deffieux) du côté d’un rapport à la contingence et non pas de maîtrise.
Ainsi, nous pouvons proposer, avec Philippe Lacadée, que l’insulte, comme urgence première, nécessite des inventions pour prendre soin du danger qu’elle fait courir au dialogue, puisqu’elle attaque la racine même de la langue, croyant dire la vérité de l’autre. La psychanalyse offre alors une nouvelle lecture de l’injure ; comme départ de la grande poésie, l’insulte est alors grandiose, en ce qu’elle ouvre une part créative. La psychanalyse ouvre à une réponse de la crise d’urgence, pas-sans poésie !
Lors de ces journées, nous ont été présentées des situations bloquées, des solutions inventées, et nous en en avons été surpris ! Nous n’en sommes pas sortis indemnes, et tant mieux ! Elles ont ravivé notre désir, nous ont enthousiasmés. Elles nous laissent dans la joie de travailler à plusieurs, d’échanger sur nos pratiques. Cet enthousiasme suscité par ces journées nous encourage dans l’accueil singulier que nous pouvons offrir à chacun des sujets en impasse qui se présente à nous.
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