les ateliers du ri3
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Modérateur : Jean-Robert Rabanel
Le printemps aux Champs Libres
Isabelle Fauvel
Une fraternité discrète
Le 18 mars 2010, aux Champs Libres, à Rennes, une soirée a réuni 450 personnes dont des représentants régionaux et départementaux remarquables : président de l’adapei 35, Directeur régional du creai, présidents d’associations de parents d’enfants autistes, associations ayant pour certaines des références de travail comme abba ou makaton, psychiatres hospitaliers, directeurs du médico-social…
Elle s’inscrivait dans le cadre de la Journée nationale de la santé mentale, et avait pour thème « Autisme : vivre ensemble ». Le premier enseignement que j’en retire, c’est que le succès de cette soirée tient à son inscription dans la cité. La psychanalyse d’orientation lacanienne nous invite à faire l’offre d’une présence dans la cité, pour tenter d’opérer, in situe, un bougé. S’inscrire dans la routine de la civilisation et œuvrer à la surprise en était l’enjeu. Le pari était donc de réunir, dans un lieu public, des personnes engagées dans le champ de l’autisme, pour qui, souvent, la psychanalyse peut se présenter comme une méthode parmi tant d’autres.
Jean-Claude Maleval et Jean-Pierre Rouillon, psychanalystes, étaient là présents, l’un universitaire et chercheur et l’autre directeur d’institution accueillant des enfants et des adultes autistes. C’est à partir de leur place respective qu’ils ont conversé. Ils ont démontré, lors de cette soirée, que le désir de l’analyste est unique. Leurs propos se sont articulés, répondus, mais jamais confondus. L’effet produit sur la salle a été incontestable ; cette conversation ouvrait le public à la joie de rencontrer dans ce dialogue des positions singulières. La psychanalyse sortait alors des cases qui lui sont régulièrement attribuées dans le discours établi ; elle ne pouvait être, ici, ni stigmatisée, ni identifiable sous l’égide d’un groupe de pensées. Deux sujets responsables et différents se présentaient à nous.
Ils se sont adressés au public dans un langage simple et ont démontré, en acte, l’accueil attentif qu’ils accordaient aux questions des familles et des professionnels. Yves Lapie, président de la Commission des Droits à l’Autonomie des Personnes Handicapées (cdaph), avait joyeusement accepté d’être leur intervieweur. De par sa fonction et son aura dans la cité, il représentait les associations de parents. Ainsi, les questions qu’il posait avaient une valeur toute particulière, se faisant le porte-parole du discours de la loi 2002 et de celle de 2005. Ses questions faisaient référence au champ politique et au contexte légal en vigueur… En honnête homme engagé, il a interrogé ces deux psychanalystes sur des enjeux citoyens dans le domaine de l’autisme.
J.-Cl. Maleval et J.-P. Rouillon, analysants civilisés, grâce à leurs talents, ont su mener l’art de la conversation, rebondir sur les questions telles que : « Que dire aux jeunes parents qui viennent d’apprendre que leur enfant est autiste ? » « Doit-on attendre l’émergence du désir ? » « Les recommandations des bonnes pratiques ? »… Cette position de fraternité discrète, cette présence attentive aux désarrois et aux questions de ceux qui souffrent ont eu un effet des plus apaisants et des plus vivifiants. Ils ont su faire apparaître le nouage qu’ils opèrent entre le politique et la clinique. Des psychanalystes pouvaient converser avec le président de la cdaph, répondre à des parents inquiets, sans faire surgir la colère et l’affrontement épinglés dans les différents rapports sous ce terme connoté de « guerre de chapelles ».
Cette soirée rennaise fut le fruit d’un long parcours : cartel, journées du RI3, conversation à Nonette en décembre 2009, travail de connexion avec la cité par l’acf-vlb, réseau des partenaires des praticiens d’orientation lacanienne auprès d’autistes. « L’être de ce collectif n’est qu’une relation individuelle multipliée »1. De nombreux organisateurs du champ freudien ont été des acteurs, cependant nous pouvons ici saluer la qualité des prestations des deux interviewés.
Du tout évaluable à la question du choix éthique : « Écouter les autistes. »
J.-Cl. Maleval a su transmettre la place qu’il accordait aux témoignages des parents d’enfants autistes ainsi qu’à ceux des sujets autistes eux-mêmes. Il ne s’agissait donc pas de faire l’apologie de la psychanalyse, mais de démontrer, en acte, par la transmission de ces témoignages, ce qu’implique cette orientation dans laquelle il s’agit de s’enseigner de la parole des sujets. Il a inscrit son propos sur un axe qu’il a ainsi défini : « Écouter les autistes. » Il a à partir de là isolé trois orientations : la cognitiviste, la comportementaliste, et les psychanalytique. Il a ensuite pu dire que si les résultats pouvaient être similaires en terme statistique, ces approches étaient différentes dans leurs démarches, les unes supposant le dressage, la psychanalyse requérant, elle, le consentement du sujet et prenant appui sur ses inventions, pouvant ainsi prendre la forme d’un jeu entre le sujet et son partenaire.
En introduisant la question d’un choix en terme éthique, il a évité l’enlisement dans des comparaisons de résultats en terme d’efficacité statistique, qu’il a balayé par ce revers de mot, « les résultats sont semblables », l’écueil du « tout mesurable et évaluable ». La dite guerre de chapelles perdait alors sa consistance du tout quantifiable.
L’expression du malaise dans la civilisation s’établit « sur l’opposition amis/ennemis qui bétonne, intensifie par là même l’aliénation subjective à l’idéal »2. Ce n’est pas au nom de l’idéal de l’efficace qu’il a desserré le nœud de la question ou d’une mise en exergue d’un combat entre des tcc et de la psychanalyse. C’est par la lecture de témoignages qu’il en a fait jaillir la différence. Pour cela, il a choisi de nous relater l’extrait d’un ouvrage d’un parent usant de punitions et du livre Écouter l’autisme3, parent utilisant le jeu pour approcher son enfant. Puis il a lu un texte de Donna Williams relatant qu’elle ne comprenait pas le sens de ces punitions.
Par ces vignettes pratiques, il a laissé la place aux sujets autistes et au choix qui engage le un par un. Tranquillement, est apparue la férocité à l’œuvre dans les méthodes comportementalistes sans que jamais la psychanalyse soit épinglée comme un idéal. Il a fait valoir que la différence entre les tcc et l’approche psychanalytique portait sur un choix éthique, qui, lui, est non quantifiable. « Il n’était pas un psy qui prêchait pour sa chapelle, m’a rapporté un auditeur, il nous a montré que le dressage était inutile. » J.-Cl. Maleval a fait passer le débat au-delà d’un effet de groupe opposant les tenants des tcc et ceux de la psychanalyse, par cette interprétation : « Écoutons les autistes. »
L’accueil de celui qui souffre :
J.-P. Rouillon a lui resitué l’histoire de l’autisme dans le champ sanitaire et médico-social. Il a rappelé qu’il y a une vingtaine d’années, nous parlions de déficience ou de psychose et que le mot autisme n’était pas utilisé. Nonette était à l’origine une institution à caractère social accueillant des enfants d’agents d’edf. L’accueil d’un garçon psychotique a mis à mal le dispositif d’apprentissage et de rééducation ; les éducateurs, démunis, ont alors sollicité le docteur François Tosquelles qui leur a répondu que « s’ils étaient en difficulté avec un sujet psychotique, il fallait en recevoir cinq » et il les a invités à rencontrer un psychanalyste. L’autisme est donc un concept moderne, a-t-il rappelé, et l’accueil des enfants psychotiques et autistes a bouleversé les pratiques dans le champ médico-social. Les psychanalystes, comme d’autres, les associations ou les éducateurs, ont participé à cette histoire ; ils n’ont pas reculé devant la tâche de l’accueil de l’insensé. Ce fut un moment important, car des représentants de l’adapei, présents dans la salle, se sont rappelés cette histoire, et cette nouveauté du mot autisme, des bouleversements des pratiques. C’est à l’occasion d’une rencontre d’un enfant en souffrance que la pratique clinique est devenue une urgence. J.-P. Rouillon, humble et délicat, a rappelé qu’il y avait bien là un réel difficile. La clinique est vivante et elle sous-tend, avant tout, une rencontre avec l’un qui s’engage et accueille l’impossible.
À la question de Monsieur Lapie : « On dit que pour les psychanalystes, il faudrait attendre l’émergence du désir ? », J.-P. Rouillon a répondu en témoignant que chacun des intervenants de Nonette cherchait à tisser un lien avec les sujets accueillis. Ce lien est souvent à réguler. C’est à partir d’une rencontre qu’un apaisement peut s’établir. Les intervenants de Nonette doivent consentir au hors-sens pour trouver le fil d’un vivre ensemble tempéré.
Monsieur Lapie a posé la question du diagnostic : « Que dire aux parents qui viennent d’apprendre que leur enfant est autiste ? » J.-P. Rouillon a rappelé qu’il connaissait le travail du Centre de Ressource Autisme et que son institution travaillait avec lui. Seulement, lorsqu’il rencontrait des parents, il devait souvent ouvrir une brèche par rapport à ce diagnostic, car il peut conduire au désespoir. Ce diagnostic peut avoir des effets ravageant lorsqu’il enferme le sujet et ses proches. Quand les parents s’adressent à Nonette, ils sont souvent épuisés, car le quotidien est difficile, ils savent que leurs enfants ne pourront ni travailler, ni se marier… Ils arrivent déboussolés car leurs enfants ne peuvent s’inscrire dans aucun discours établi d’un projet d’avenir convenu. Il a pu dire que l’accueil consistait à accuser réception de cette angoisse pour parier que quelque chose pouvait commencer, leurs enfants pourraient vivre avec d’autres, apaisés.
Yves Lapie a dit que les parents tenaient au statut du handicap car ils ouvrent des droits, des compensations. J-P Rouillon a répondu que Jacqueline Berger, auteure de l’ouvrage Sortir de l’autisme, ne souhaitait pas que ses filles soient rangées sous cette étiquette de handicap. Monsieur Lapie a conclu cette soirée dans l’élan initié par J.-P. Rouillon : « Chaque parent est différent. », ce qui provoqua les applaudissements de la salle.
J.-P. Rouillon a véhiculé dans son propos une interprétation entendue dans cette parole conclusive de M. Lapie : « Chaque parent est différent. » Chacun était, dès lors, renvoyé à la « solitude de son rapport à l’idéal »4
À la sortie, le directeur du creai, M. Yann Rollier me dit : « Il s’est passé quelque chose ce soir, des représentants d’associations de parents, virulents contre la psychanalyses, sont sortis tranquilles, apaisés. » Il souhaite que nous réfléchissions, ensemble, à une commission qu’il va mettre en place avec des parents d’enfants autistes. Il est très inquiet de la montée en puissance, dans les ministères, de l’influence des promoteurs de la méthode abba.
Quelque temps après ce 18 mars, le journal Ouest France a publié un article de J.Cl. Maleval, en page nationale…
Ce soir là, à nos épaules, une branche a fleuri.
ps : merci tout particulièrement à Alain le Bouetté, responsable du Bureau Rennes de l’acf-vlb pour les liens qu’il a su tisser dans la cité, avec les Champs Libres, et d’avoir permis à cet événement de connaître un retentissement public.
1. Miller J.-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’Ecole 2000 », La Cause freudienne n°74, Navarin, p.134.
2. Ibid., p.135.
3. Idoux-Thivet A., Ecouter l’Autisme, Editions Autrement, collection Mutations n°252, Paris.
4. Miller J.-A., op. cit., p.135.
Toutes les informations concernant le RI3 sont sur le site
http://www.ri3.be/