À l’école du sujet (suite)
Marie-Agnès Macaire-Ochoa
Les déchets du langage
Laura Petrosino nous met sur la voie de la lettre et du hors sens.
Christophe parle la langue sdf, mais ce sdf fonctionne également comme une lettre qui fait retour dans le réel sous forme d’hallucinations. Le titre de l’exposé indique expressément la position de l’analyste : « Entendre un sujet ». La logique de L. Petrosino est d’être au plus près de la langue de l’autre. Entendre le langage sdf, hors sens, holophrasé, elliptique, sans négation, en tenir compte, est une façon de faire place au sujet. Christophe, vingt ans, trouvera, tel Fabrice, huit ans, une manière de se tenir dans le lien social. Il veut travailler en ramassant des déchets dans la rue, mais le plus important est que cela s’accompagne d’un certain goût pour le langage. Il peut se servir des mots, interroger leur signification, demander qu’on lui lise des livres. Il commence même à habiller le réel de formes et de semblants.
Traiter le réel par le réel
C’est avec la lettre B que Paula nous enseigne. Cette lettre, initiale de son nom et du prénom de sa mère, contamine le discours de Paula envahi par les « bébés ». Paula sait comment faire avec les bébés : ils l’aiment, ils la regardent tout le temps, elle rêve d’en avoir et veut devenir puéricultrice. C’est un « pousse à la mère », dit L. Petrosino. Dans ce cas, la lettre ne fait pas retour dans le réel sous forme d’hallucination, mais fait retour sur le corps. Paula est le bébé de l’Autre, elle croit qu’elle a un bébé dans le ventre, elle a mal au ventre. Comment traiter cette souffrance ? Lacan nous enseigne encore. Si on réfère le « pousse à la mère » au « pousse à la femme » du Président Schreber (Lacan), on peut considérer que Paula va constituer un délire qui sera peut-être une voie de guérison (Freud), voire de stabilisation.
Mais avec le dernier Lacan, nous pouvons envisager de traiter le réel par le réel, c’est-à-dire par exemple d’associer à la lettre B une autre lettre qui viendrait atténuer les effets délétères de la lettre B toute seule. Cette voie proposée par Laure Naveau est éclairante pour tous. On peut ainsi barrer le délire, et atténuer la souffrance du sujet. La voie du sens serait celle du délire, la voie du réel, celle de la lettre.
Quand il n’y a pas d’ordre symbolique, comment maintenir cette dimension du sujet ? Le sujet se définit par rapport à l’Autre. Lacan en fait un sujet de la parole, plus du côté de la dimension du parlêtre que de celle du sujet du signifiant. On ne va pas du côté du sens si on s’oriente vers le réel. Pour certains sujets, le signifiant est hors sens, et ils souffrent de cela. Comment faire pour que ce S1 tout seul s’articule en sens. Serait-ce une façon de le traiter ? D’où la question : le sens et le réel sont-ils antinomiques ? La question n’est pas simple. Cette ponctuation de Jean-Robert Rabanel laisse sur cette question maintenant bien dégagée, et que nous continuerons à travailler.
Renaitre poète
Quand à David, il va falloir extraire de son flot de paroles quelques signifiants qui vont le représenter. D’abord « tomber », signifiant perdu dans sa métonymie, alors que David tombe, se fait mal, et revendique ses cicatrices comme ce qui lui offre un corps. Au fil des ponctuations que s’autorise son éducatrice, sa subjectivité se fait une place, reflétant son désarroi face à la demande d’amour : « Personne ne m’aime. » « Au secours, à l’aide, mon père préfère mon frère. » « J’appelle les secours, mais je parle pas la langue. »
Effectivement, c’est avec la langue qu’il va se faire une place, avec la langue de la poésie. Il rapporte un poème puis invente lui-même un poème. Au cours de ce trajet, l’énigme reste très présente : le hors sens domine, et l’utilisation d’une invention signifiante pour ponctuer toutes les fins de séance d’atelier, tout autant : « Point de décoration », dit-il, qu’il dessine comme un point d’interrogation, transformant à sa manière l’énigme en art. « C’est une guirlande avec une boule qui tombe. » Que veut l’Autre ? Che Vuoi ? Que suis-je pour l’Autre ? Telle serait la question de David. Etre nommé poète par Valérie Muller, son éducatrice, a fonction d’acte de naissance qui lui donne une petite ossature, un élément de réponse grâce auquel il se met au travail du semblant avec la magie, les objets volés puis restitués, la poésie.
Jardin du paradis
Le savoir faire de Catherine Thomas dans la classe relais n’est plus à démontrer. Ces classes relais, beaucoup trop rares, se révèlent quasi indispensables au vu des événements graves qui jalonnent la vie quotidienne dans les collèges aujourd’hui. À l’écoute du sujet et de sa langue, sa lalangue en lien avec la langue maternelle, avec une liberté d’action qui lui est propre et singulière, C. Thomas borde, accompagne, entend les mots, prend la mesure de la souffrance de Farid qui ne veut plus se lever, entend des voix, complètement lâché par tous les autres. Farid devient le « chevalier servant », « le garde du corps », « l’ange du paradis ». Toutes ces épithètes le font passer d’être l’exclu en être l’élu. Il découvre que son nom veut dire « jardin du paradis ». Un travail sur le chant des oiseaux apaise la jouissance de la voix mortifère. Farid découvre le goût de la langue et du savoir. Comme le souligne L. Naveau dans son commentaire, la position de C. Thomas n’est pas de s’identifier à l’adolescent, ni de faire fraternité avec lui, mais de garder la distance adéquate au maintien de l’idéal du savoir nécessaire et indispensable.
À l’école de l’autiste
La journée se termine avec le travail de J.-R. Rabanel, lui-même en plein « effort pour rendre compte de sa pratique », au moment où il nous parle. Après un retour sur les apports de Lacan concernant la psychanalyse avec les enfants, les concepts d’aliénation et de liberté dans la névrose et dans la psychose, historique précieux nécessaire pour nous mettre sur la voie du xxie siècle, celui de la jouissance, du signifiant tout seul et de l’objet, il pose la question essentielle : quel lien social est-il possible de créer avec ce sujet ?
Aurore, jeune fille accueillie à Nonette, saura avec sa langue, ses actes, bouleverser la pratique pourtant peu standardisée de ses partenaires de Nonette. Avec Aurore, nous apprenons qu’il n’y a pas d’autre voie que celle d’apprendre la langue de l’autiste, apprendre sa langue et non les bienfaits que la bienveillante civilisation veut pour lui. De ce fait, chacun avec sa langue particulière n’est-il pas autiste ? Et ceci ouvre un espoir qui retentit à nos oreilles, celui d’une civilisation possible que les autistes nous apprennent. Nous resterons éveillés à l’école de l’autiste !
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