Chère Maggie De Block,
C’est sur l’Evidence Based Medicine
que je voudrais vous interpeller, point central annoncé à la page 7 de
votre projet de loi réglementant les professions de soins de santé
mentale. S’il est incontestable désormais que cette médecine fondée sur
la preuve est devenue un outil de gestion efficace pour qui s’intéresse
au calcul des rationalisations financières et matérielles dans
l’organisation des soins, vous n’êtes sûrement pas sans savoir que les
fondateurs de l’EBM eux-mêmes remettent en question, depuis
quelques années, la pertinence d’un tel modèle dans le champ de la
santé, et plus précisément dans celui qui nous intéresse, celui de la
santé mentale.
Il apparaît que vous ayez omis de vous
inspirer des gens de terrain pour construire ce projet de loi. Tentons
donc de donner de la voix à ceux que vous pourrez entendre : des
collègues chercheurs en santé publique.
Ainsi, Daniel W. Rosenberg, l’un des fondateurs de l’EBM, affirme
qu’« une telle approche peut produire des recommandations
scientifiques, qui sont néanmoins de portée limitée dans la pratique
clinique ». Et de poursuivre : « Une science juste requiert des
traitements qui soient uniformes, bien documentés, explicites et
logiques ; un traitement clinique pertinent doit cependant être
individualisé pour l’enfant et la famille, compatible avec le style du
clinicien, intuitif, et attentif aux relations de l’enfant avec sa
famille »(1).
Peut-être gagnerez-vous à prendre connaissance, comme ce fut le cas pour nous, de cet article de David Glance, dans le British Medical Journal, qui, lui, signale que le « premier problème de l’EBM est qu’elle se lie aux compagnies qui ont un intérêt certain à voir la recommandation de certains traitements »(2).
Par ailleurs, « […] le volume des
preuves est devenu au fil des années incontrôlable »(3) nous disent
Trish Greenhalgh et Neal Maskrey. Et ils ajoutent un peu plus loin dans
leur article que « […] des règles inflexibles et construites à partir de
la technologie peuvent produire du soin pensé pour le management plus
que pour le patient ».
De l’autre côté de la Manche, en France, des chercheurs du laboratoire Santé Individu Société à l’université de Lyon III confirment que « l’EBM
a apporté au médecin une aide inégalée dans sa pratique clinique,
nécessaire à l’entrée de la médecine dans l’ère de l’information, mais
il existe un point aveugle dans la médecine mettant l’EBM en
défaut : la relation de soins en général et la souffrance psychique en
particulier » (4). Les chercheurs ajoutent : « Nous assistons
aujourd’hui à une amélioration technique de la prise en charge du soin,
et à une régression dans la relation de soin. En effet, plus forts sont
la structure apparente (la norme ou la recommandation de bonne pratique)
et le sentiment de vérité absolue qu’elle véhicule, plus difficile est
la perception de la structure profonde du soin à cause des modèles
conscients et déformés imposés par cette norme et qui s’interposent
comme des obstacles entre le médecin et son patient. »
Enfin, selon David. L. Sackett, le fondateur de l’EBM, il existe avec l’EBM
une menace qui serait de confondre l’« absence de preuve d’efficacité »
et la « preuve d’absence d’efficacité » d’une intervention.
Quelles que soient les réponses que l’EBM apporte au questionnement sur le réel, la médecine par la preuve n’épuisera pas le parlêtre dans sa démarche de résistance face à cette normalisation des pratiques. Le Journal du Forum des Psychanalystes et la pétition qu’il soutient en sont la preuve incarnée !