Un baby-footer
par Emmanuel Chenesseau (Antenne clinique Angers)
François m’est adressé avec un volumineux dossier de bilans et de diagnostics.
Son regard glisse légèrement de biais. Son phrasé est heurté, la syntaxe incorrecte. Sa démarche est raide et mécanique. Il peut rester de longues heures à battre un rythme avec un petit bâton, sur la cour de l’école.
Le « suivi » précédent ayant porté uniquement sur le scolaire et la performance, l’absence d’offre pédagogique surprend sa mère à qui je propose un espace pour venir parler. François, lui, ne veut qu’une seule chose : jouer au baby-foot qui se trouve là. Je m’y engagerai donc avec lui. « Demi, balle-morte », « reprise, balle morte », « triangle, 3 points », « râteau, 3 penos », « balle d’éch’, balle de camp », « lobe, gagné », « tribune, 4 points », voilà l’univers signifiant dans lequel il me conduit, avec ses tactiques et ses règles. En peu de temps, il développe une très grande dextérité.
Jusqu’ici très isolé, François entre dans le lien social des baby-footeurs. Le camp des 5ème règne sur le baby-foot. Les 6ème, dont il fait partie, sont relégués au rang de spectateurs, voire de participants très occasionnels. Mais lui, a dans sa poche une balle sur laquelle il a écrit son nom et, un jour où ces 5èmes si peu partageurs se retrouvent sans balle, il peut ainsi se rendre nécessaire car, pas de balle, pas de baby – équation simple mais efficace pour faire du possesseur d’une balle un joueur plus régulier. C’est ainsi que François rompt pour une part son isolement ; il se met à parler de « copains », au pluriel.
Mais un psy qui fait du baby-foot à quoi ça sert ? La mère pour qui seul le scolaire compte, m’interroge : où est le « progrès » scolaire ? C’est alors que François, qui n’a jamais eu de lien avec son jeune frère – « il m’a volé ma vie » disait-il -, entraîne celui-ci pour une partie de baby-foot…
Gageons qu’il y aura des suites.