PAPERS
Diana Wolodarsky
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ÉDITORIAL
Diana Wolodarsky [email protected]
Les Papers nº 4 présentent les travaux de quatre collègues, membres de différentes Écoles de l’AMP, et d’un membre du Comité d’action. Produits du travail effectué dans les Écoles, ces textes contribuent à l’avancée de la préparation de notre prochain Congrès.
En premier lieu, nous lirons le texte d’une intervention de Celso Reno Lima, membre de l’EBP, exposé lors d’une soirée d’enseignement du Comité d’action à la Section brésilienne du Minas Gerais. À partir d’un article de Vicente Palomera, il déplie les fondements et les avancées qui permettent d’aborder l’objet a dans la psychose, et ses différences d’avec la névrose. Traversant des moments différents de l’enseignement de Lacan, il conclut que, là où devrait exister un fantasme fondamental, le sujet psychotique tente de construire son monde par le délire. Il met l’accent sur l’importance du semblant dans la psychose, c’est-à-dire la possibilité d’introduire un objet qui peut tenir lieu de semblant, afin que le sujet psychotique supporte la rencontre avec l’Autre.
Se référant, entre autres, aux Séminaires X et XVI, Isabelle Durand (ELP), aborde la dimension de l’objet a, depuis la perspective du vide, déjà ébauchée dans le Séminaire VII. Ainsi sommes-nous prévenus du risque de l’identifier à quelque chose de concret. L’objet a la consistance d’un trou, les morceaux de corps venant se modeler sur un vide. Ce travail nous éclaire sur l’objet plus-de-jouir et l’objet comme consistance logique. Dans le même perspective, Angélica Marchesini (EOL) fait une lecture comparée des Séminaires X et XVI, retraçant le parcours du passage des objets pluriels à l’objet unique. Si, comme point de départ, nous saisissons l’objet a en tant que prélèvement corporel, nous sommes conduits au multiple. Mais dans D’un Autre à l’autre, l’abord est différent, et l’idée de substantialité et de multiplicité disparaît. La consistance logique venant au lieu de la biologie, l’émergence du sujet est située à partir de la jouissance de l’Autre. Cette conception de l’objet plus-de-jouir introduit l’idée d’un objet apte à combler le vide dans l’Autre inconsistant.
Carmelo Licitra Rosa (SLP) prend pour point de départ son précédent texte paru dans Papers, dans lequel il situait le stade anal comme modèle idéal pour concevoir la genèse de l’objet a. Ici, il montre comment se fonde la constitution de l’objet oral, à la lueur du Séminaire X. Ce n’est pas au niveau du sevrage que l’on voit surgir l’objet oral mais en examinant le couple naissance et sevrage. Et, soulignant la position de Lacan, il met en évidence que, bien que l’objet oral ne soit pas entièrement lié à l’Autre, il donne un premier signe du lien à l’Autre. Ce qui permettrait de parler de fantasme oral.
Pour conclure, Luisella Brusa (SLP) s’arrête sur l’importance des affirmations de Lacan dans le Séminaire X sur l’objet oral, et se rapporte au texte de Catherine Lazarus-Matet dans Papers 2, pour traiter de l’objet a. Elle développe son propos selon trois scansions: topologie de la disjonction, consistance de l’Autre et production d’un irréel.
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L’OBJET a DANS L’EXPERIENCE ANALYTIQUE AVEC LES PSYCHOSESSoirée du Comité d’action – EBP-Minas Gerais, 23/08/2007
Celso Rennó Lima [email protected]
L’intrusion d’une image peut être un recours pour que l’objet a puisse se présenter dans sa nature de semblant, et avoir ainsi des effets moins dévastateurs sur le sujet psychotique. Nous allons reprendre ici quelques-unes des avancées amenées par les deux textes autour de l’objet a1. Mon attention a été retenue par la manière dont les deux auteurs font appel à ce que nous appelions le premier Lacan, dans le sens où nous avons repris les concepts formalisés pendant cette époque.
Dans le premier Lacan, l’objet a était fondamentalement image. Il était forgé à partir du stade du miroir, tracé dans le champ de l’Autre, là où un signifiant se faisait absent. L’objet était en conséquence une opération signifiante. Dans la mesure où le corps dans le miroir était nommé, il perdait de sa substance jouissive et se transformait en signifiant, mais seulement jusqu’à un point déterminé. Ce point est corrélé à l’ombilic du rêve chez Freud, là où, tout d’un coup, il n’y a pas un signifiant parce que ce qui se présentait dans le miroir n’avait pas de double. Un point dans lequel un sujet n’arrivait pas à se faire représenter par un signifiant pour l’autre signifiant. Ce point étant le lieu que Lacan, à l’époque, a nommé matrice symbolique, espace vide à partir duquel le symbolique se constitue. Ici s’éclairent les termes matrice symbolique et symbolique à partir des termes que Palomera reprend dans son texte : « Ce « peu de réalité », dit-il, ce point de trou, ce manque dans l’Autre, est fondamental pour qu’un sujet puisse se mettre en position de constituer un « peu de réalité ». Lacan va définir ce peu de réalité comme étant l’articulation du sujet avec cet objet ; cet objet du manque dans l’Autre. Cela, à partir de l’interprétation que ce sujet s’est construit de ce manque. Manque que Freud a appelé castration ».
Ce « point de réalité » se soutient de ce que nous appelons le « fantasme fondamental », défini par Lacan lors de la construction de son graphe du désir, comme la mise en scène des signifiants fondamentaux d’un sujet. A ce moment là, le fantasme avait pour lui un substrat imaginaire. Le réel, même s’il était implicite et nommé dans les textes de Lacan – le premier texte « Symbolique, Réel et Imaginaire » étant de 1952, le réel donc, n’avait pas encore le caractère que nous lui attribuons aujourd’hui. Il se référait alors à la fois à ce que Freud avait nommé das Ding, et la réalité fournie par chacun à partir de la structure de son fantasme fondamental. Mais ce premier modèle s’est vite épuisé. Le graphe du désir a peut-être constitué la dernière tentative de Lacan de mathèmiser signifiant, signifié, demande, désir, nécessité et l’Autre comme lieu du code. Depuis lors, Lacan va introduire, ou va réintroduire, la question de l’objet dans son séminaire sur l’Éthique. Il le reprendra dans le das Ding freudien et ouvrira l’espace pour l’objet petit a. D’abord il va le récupérer par le biais de la fonction de l’amour de transfert, puis il s’en échappe et reprendra le signifiant dans le séminaire sur l’Identification, pour arriver à la formalisation dans les termes que nous connaissons aujourd’hui.
Lacan, jusqu’à ce moment-là, a relégué la pulsion à un plan plus ou moins secondaire, comme J.-A. Miller l’indique dans Silet. Mais il se trouve aux prises avec la présence de cet objet qui ne se limite plus à être une image. Devant cela, il va reprendre le texte freudien pour ramener la pulsion dans le cadre de ce que nous appelons aujourd’hui l’orientation lacanienne. Il retourne au stade du miroir, refait l’image spéculaire, en lui donnant la consistance du corps et non plus celle de l’image. Il définit les objets petit a comme ce qui tombe du corps et qui fait présence. Il situe cette présence à partir du fait qu’elle est dénoncée par la pulsion elle-même, à partir de son mouvement d’aller-retour. C’est donc une présence qui dit d’un sujet qui cherche dans le champ de l’Autre, plus qu’une image, dans la mesure-même où il vit dans la rencontre avec l’Autre quelque chose de l’ordre d’une inconsistance.
Ce pas donné par Lacan va de l’objet de l’image à un morceau du corps et va ouvrir un espace dans la direction de ce que Freud a laissé commesans réponse, à savoir : que veut une femme ? La pulsion comme trajet phallique va ouvrir le champ de l’Autre, la rencontre qui va au-delà de ce que la structure phallique peut offrir. Cet espace ouvert, Lacan va l’exploiter seulement à partir du moment où il structure les discours que je comprends comme une nouvelle façon d’écrire la pulsion. Le discours est ce qui fait lien social, ce qui part du champ de l’Autre et enlace dans celui-ci quelque chose qui peut circuler, via cet objet hétérogène, hétéroclite dans la série de signifiants qui composent les discours.
J.-A. Miller dit que dans le séminaire XVII, nous trouvons la passe de Lacan, exactement au moment où Lacan va « au-delà du père ». Il existe un passage entre les deuxième et troisième subdivisions de ce séminaire, où Lacan introduit l’ « au-delà du père » et ouvre alors cet espace pour travailler la jouissance en tant que telle (« o gozo » en portugais). Cela a comme conséquence la place que prendra l’objet a. Il viendra, à partir de ce séminaire, indiquer alors la présence d’une jouissance qui va au-delà du plus-de-jouir. Cette indication de Lacan sera formalisée dans son séminaire XX.
Toute la structure topologique que Lacan a utilisée jusque-là pour rendre compte de ces questions, va se vider et il va alors prendre appui sur une nouvelle structure topologique : celle du nœud borroméen. Lorsqu’il va se servir de la topologie borroméenne, il va se trouver face à une question fondamentale : ce qu’il avait travaillé au niveau de la communication, de la question, de la réponse, de la reconnaissance, va se vider. L’Autre, que Lacan avait construit comme lieu du code – là où il était peut-être possible pour le sujet de trouver réponse à ses demandes au niveau signifiant, va perdre quelque part ce caractère au fil de son œuvre à venir. Ce qui émerge alors, c’est un espace nouveau. Cet espace nouveau va se définir comme le lieu où le sujet rencontre une inconsistance logique. En contrepartie, dans le séminaire D’un Autre à l’autre. l’objet petit a va prendre un espace différent de celui qu’il occupait jusque-là. Dans ce séminaire, il entre dans la dialectique du grand Autre en tant qu’inconsistant, qui va être présenté, lui-même, en tant que consistance logique. Comme l’a indiqué J.-A. Miller récemment : « l’Autre est inconsistant parce qu’il est troué, alors que l’objet a est inconsistant parce que il n’a pas de trou ».
Dans son texte « D’une question préliminaire… », Lacan travaille la question de l’objet dans la psychose, pour revenir ensuite à cette question dans son séminaire Le Sinthome lorsqu’il se confronte avec la question de l’Autre inconsistant et de la consistance de l’objet. Néanmoins reste la question de l’extraction de l’objet. Comment l’objet a se présente dans la psychose ? Comment peut-on utiliser ces concepts d’objets a, d’extraction de l’objet a dans la psychose ?
Si la clinique nous convoque à intervenir à partir de ce lieu, comment allons-nous travailler cette question ?
Dans son texte, Palonera nous a donné une définition très claire du lieu de l’objet a dans la psychose. « Le sujet psychotique, dit-il, révèle que l’objet a peut être découpé, mais cela n’est pas suffisant pour que cet objet soit détaché de lui ». Alors j’entends que le travail clinique consiste à essayer de localiser ce que le sujet psychotique amène comme une ébauche de ce qui, pour le sujet névrosé, serait l’objet a. Lorsque nous rencontrons un sujet névrosé dans un cadre de travail, ce qui se présente à nous des le premier moment, c’est son fantasme fondamental. Dans le fantasme fondamental, nous avons la pulsion qui est gelée dans un certain circuit, à partir d’une interprétation que le sujet fait de sa rencontre avec le manque dans l’Autre.
Le sujet névrosé amène son objet a. Mais… pas dans sa poche, comme nous dit Lacan lorsqu’il parle de cet objet chez le sujet psychotique. Le névrosé l’amène, mais… articulé à son fantasme fondamental, enveloppé dans ce que nous connaissons comme « l’enveloppe formelle du symptôme ». Cette enveloppe formelle du symptôme, c’est la libido qui enveloppe la pulsion. Elle part d’un point, enlace la pulsion et retourne au corps. Pendant ce trajet, elle est toujours marquée par la présence du signifiant. Cette enveloppe libidinale protège l’objet petit a et établit un semblant, comme nous dit Lacan. Ce semblant produit pour sa part un masque, comme dans le théâtre grec. Ce mouvement produit des effets de cause et évite les effets drastiques de la rencontre avec un réel dépourvu de son enveloppe formelle. Dans une analyse, c’est le travail de l’analyste de démonter cette scène, pas à pas, et de faire de sorte que le sens que soutient la pulsion dans une certaine direction puisse vaciller. A partir du discours analytique, moteur de l’acte analytique, l’objet a est mis dans la position d’agent et sépare ainsi le S1 du S2. C’est à partir de ce moment que l’objet a se trouve au centre de la scène à partir du fonctionnement du Discours de l’Analyste. Ce Discours peut être effectif, à condition que l’analyste puisse permettre que l’objet a domine la scène. Là où un vide peut être soutenu par le désir de l’analyste. Un acte analytique peut donc avoir lieu. Il revient au sujet – marqué par cet acte qui peut déplacer la place de l’objet a dans le fantasme, de faire une articulation entre l’avant et l’après et de créer un nouveau nouage. Pour ce faire, le sujet doit être soutenu par une articulation entre sujet et objet dans leur relation avec l’Autre et de rendre la situation propice à un arrangement avec un autre seuil.
Freud dit ceci : l’objet a, ou das Ding se présente dans le moment où le trait de perception ne trouve pas une référence dans les traits mnémoniques accumulés pendant le trajet du sujet à partir de son rapport à l’Autre, qu’il nomme Nebenmensch, moment où le jugement ne peut pas se faire. Freud dit que das Ding c’est quelque chose qui se manifeste au moment où se refuse une signification : elle apparaît et produit un effet de réveil chez le sujet. L’objet a a cette fonction : réveiller le sujet. En d’autres mots, c’est ce qui produit l’acte analytique : il défait le circuit orienté soutenu par le fantasme fondamental, et laisse le ciel ouvert au vide où règne l’objet a, réveillant le sujet. C’est la présence d’un nouveau sujet, ein neues Subject, comme nous rappelle Lacan dans son Séminaire XI. Lorsque nous écoutons un névrosé, nous nous rendons compte qu’au milieu de la trame qu’il déplie, il amène quelque chose qui échappe au jugement. Lorsque nous sommes attentifs à cette présence qui ne se réalise pas, qui ne se prête pas au jugement d’existence ni au jugement d’attribution, alors, nous pouvons savoir quelque chose de l’objet a.
Dans la psychose, le sujet amène son objet a dans sa poche. Nous ne trouvons pas le fantasme fondamental parce qu’il n’existe pas un objet extrait dans le champ de la réalité. L’objet est là, mais le sujet n’a pas avec cet objet un rapport à partir d’une interprétation passible de faire lien social. C’est ceci qu’un des cas apporte. L’image de la photo peut servir de point d’appui fugace, fragile, parce que là où le fantasme fondamental devrait exister, le sujet psychotique tâche de construire son monde via un délire. Notre fonction étant alors celle de travailler pour que ce monde qu’il construit puisse se soutenir de la meilleure manière possible.
Reprenant le texte de Palomera, nous trouvons une assertion, à partir de Lacan, que je considère comme fondamentale : « l’objet a est unique ». Il n’y a pas quatre objets a. Il existe des formes via lesquelles il peut se présenter, il existe donc des semblants. Objet du désir, objet de la pulsion, objet de la demande, objet du besoin, ne font qu’un. Ce qui va différencier l’objet de la pulsion, de l’objet du désir, de l’objet a, c’est la topologie et le temps. Objet regard, objet voix, sein et fecès sont des habits que, dans la psychose on essaie de faire exister comme semblants. On tâche, et je cherche à être clair quant à ça, puisqu’ils sont là en tant que présences réelles, et qu’il ne peut pas être extrait pour qu’un peu de réalité puisse se constituer parce qu’ils peuvent envahir le réel, provocant ainsi horreur ou perplexité chez le sujet psychotique, là où le névrosé parlerait d’angoisse.
Toutefois, la fonction de ces objets est simplement celle-là. Ce que Palomera rétablit en citant Lacan : « ce vidage de substance est généralisé à tous les objets. Ce vidage de substance (en citant Miller) c’est précisément un des traits de l’objet a ». Par après, en citant Lacan dans le séminaire Le sinthome il ajoutera : « l’objet a c’est à peine un unique et même objet ».
Ce qui est à faire dans la clinique de la psychose, c’est en tout cas ma pensée, c’est de faire en sorte qu’ « un » objet puisse circuler. Cet objet peut circuler, à condition d’avoir un semblant. Même bancal. Lorsque ce semblant fragile se rompt, nous allons voir apparaître, entre autres situations, un passage à l’acte. Ce qui est en jeu c’est précisément la possibilité de maintenir un espace entre le sujet et l’Autre. Et, à la place de l’absence d’un semblant qui pourrait servir de médiation, le passage à l’acte peut venir se loger comme une tentative de venir barrer la place réelle de l’objet. C’est cela que la psychose ordinaire et le fantasme fondamental permettent. Un peu moins mal dans la névrose. Le psychotique ne fait pas lien social. La question du semblant dans la psychose, cette possibilité de faire semblant pour qu’un lien social advienne est fondamentale.
Il nous faudra donc travailler la possibilité d’introduire un objet qui puisse faire office de semblant, pour que le sujet psychotique supporte la rencontre avec l’Autre. Notre écoute en tant qu’analystes, doit peut-être se prêter à ça, écouter quelque chose qui puisse assurer la fonction de Nom-du-père en tant qu’élément séparateur, en tant qu’élément qui maintient à distance cet Autre qui incrusta l’existence de l’objet a, qui n’a pas été extrait par l’opération de séparation capable d’installer la présence d’un discours qui puisse soutenir le lien social. Ce n’est pas n’importe quel objet qui peut venir à cette place. C’est un objet qui puisse faire fonction de semblant pour un sujet même si ce sujet, marqué par le langage, n’est pas pris dans un discours.
Traduit par Elisa Alvarenga
1 Référence aux textes de Catherine Lazarus- Matet et Vicente Palomera, objets de ce débat, cf Papers 1.
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PLURALITÉ DES OBJETS a
Angélica Marchesini [email protected]
Le prochain Congrès aura pour titre « Les objets a dans l’expérience analytique ». J.-A. Miller propose cette voie de réflexion : nous acheminer vers le Séminaire de l’Angoisse nous fera avancer. C’est le retour à une pluralisation et à une référence corporelle. En quoi le retour aux objets a « naturels » du Séminaire l’Angoisse sera-t-il une avancée?
Tandis que l’objet dans ses cinq formes représente la variété des objets, dans d’un Autre àl’Autre et dans le séminaire suivant, l’objet a dans les discours fait disparaître cette hétérogénéité. C’est dans ce but que nous proposons une lecture comparée entre les deux séminaires de Lacan.
Les objets a naturels au pluriel
Nous remercions J.-A. Miller pour sa lecture du SéminaireL’angoisse (1) qui nous permet d’approcher ce Séminaire de Lacan et d’en extraire les conséquences sur la valeur des objets a, à ce stade de son enseignement. Dans le Séminaire L’angoisse, Lacan privilégie l’anatomie, l’organisme, plus que des particularités anatomiques. Ce qui est mis en jeu dans la coupure est une partie du corps, une part corporelle. En tant que séparation anatomique, elle apparaît comme première, comme antérieure à l’incidence du grand Autre.
Dans la présentation du Séminaire, J.-A. Miller a fait allusion à un certain charme naturaliste. Ensuite il dira que c’est une « illusion », qu’il n’y a aucun naturalisme dans l’objet a chez Lacan. En effet, indique Lacan, on peut le remplacer. « L’objet naturel peut être remplacé par un objet mécanique…le remplacement possible de cet objet par n’importe quel autre qui puisse se rencontrer. Ce que j’appelle la cession de l’objet, se traduit donc par l’apparition, dans la chaîne de la fabrication humaine, d’objets cessibles qui peuvent être équivalents aux objets naturels. » (2)
L’exemple est celui du sein qui peut être remplacé par le biberon et celui-ci peut à son tour être remplacé par n’importe quel autre objet.
Mais, par ailleurs, les racines corporelles de l’objet a sont accentuées, en même temps qu’il est indiqué que des objets artificiels peuvent être les équivalents de ces objets naturels : transplantations d’organes ou extraction de l’image sous la forme d’une photo, voix qui peut s’enregistrer ou s’emmagasiner etc. Or aujourd’hui nous entrons dans une économie désirante frénétique, où les objets qui se substituent ces supposés objets naturels sont partout.
Dans les considérations de Lacan, ces objets peuvent émerger et en même temps se multiplier en lien avec la liste traditionnelle, parce qu’ils sont déliés de toute référence oedipienne. La fonction de l’objet est d’être cessible, comme partie détachable, et l’objet est porteur, dans une certaine mesure, primitivement, de quelque chose concernant l’identité du corps. Et à son tour il précède le corps lui-même quant à la constitution du sujet.
Lacan en est venu à détailler les séparations anatomiques de l’objet, les séparations naturelles de l’objet pris sur le corps, en principe sans l’intervention de l’Autre.
Lacan fait référence à la sépartition, pour indiquer qu’il s’agit d’une division à l’intérieur qui concerne le sujet de l’organisme. « La relation de l’homme avec cette fonction appelée désir, elle s’anime pleinement seulement dans la mesure où est envisageable le dépècement du corps propre, cette coupure qui est le lieu des moments électifs de son fonctionnement. La « sépartition » fondamentale, non séparation mais partage à l’intérieur ».(3)
Dans un premier temps, il y aurait ces objets naturels, avec division à l’intérieur du corps, antérieurs à la constitution subjective. Et dans autre registre, apparaissent les équivalents de ces objets naturels. A côté des objets du corps fragmenté a lieu une fabrication d’objets dans la culture. C’est la possibilité d’inscrire dans le symbolique cet élément naturel qui n’est pas encore passé dans le champ du langage et à la fonction de la parole. Un an plus tard, Lacan dira de la causalité du sujet que la première opération signifiante, c’est l’aliénation dans l’Autre symbolique.
Ce morceau charnel appelé objet a, comme tel arraché à nous-mêmes, apparaîtra selon Lacan, dans les différents niveaux de l’expérience corporelle où se produit la coupure ; il énumère cinq formes d’objets a, oral, anal, phallique, scopique et vocal.
Ce Séminaire différencie deux types d’objets, ceux de type spéculaires, reconnaissables et symbolisables. Et J.-A. Miller précise qu’il y a des objets d’un autre type, antérieurs à cette communauté imaginaire, qui ne sont pas réglés, mais chargés de Triebregung, qui ont une charge pulsionnelle. Selon J.-A. Miller, c’est ce qui deviendra, dans l’enseignement de Lacan, comme le plus-de-jouir. Si Lacan aurait utilisé le terme freudien Triebregung dans le Séminaire de L’angoisse, il aurait été sur la piste du plus-de-jouir.
Ce qui peut se détacher de ce Séminaire, c’est que l’objet a apparaît identifié à une surface, il est capté dans son émergence, avant qu’il se soit imposé dans sa pure consistance logique.
L’objet a en singulier, comme plus-de-jouir
Si comme point de départ nous repérons l’objet a comme prélèvement sur le corps, nous sommes conduits à une multiplicité. Mais si on le réfère plus loin, au Séminaire D’un Autre à l’Autre, il s’agit d’un abord différent, l’idée de substantialité et de pluralité disparaît. Dans son cours « Illuminations profanes », J.-A. Miller réfléchit autour du titre D’un Autre à l’Autre. « Si dans ce Séminaire il continuait à dire la même chose, il devrait s’appeler d’un Autre aux autres. »
Dans la description de l’objet a comme consistance logique, la logique prend le pas sur la biologie. Là se trouve la justification du singulier, de la seule consistance logique qui puisse valoir pour le sujet. Ces définitions apparemment contradictoires, J.-A. Miller les considère comme complémentaires, l’une s’ajustant à l’autre : «Le prélèvement pris du corps , objet naturel, obéit à ce qui est imposé par la consistance logique ».
L’argument de J.-A. Miller est que le terme de « structure topologique », employé dans le Séminaire XVI (et dans le Séminaire X), permet de lier coupure sur le corps et consistance logique.
Le SéminaireD’un Autre à l’Autre effectue une inversion de perspective en localisant l’émergence du sujet à partir de la jouissance et non à partir de l’Autre. Le manque dans l’Autre n’est alors plus effet du signifiant, écrit dans la formule de l’Autre barré (opération de la logique signifiante), mais il reçoit sa forme d’objet : l’Autre est « enforme » de a.
L’objet a vient décompléter l’Autre. Dans ce Séminaire, Lacan fait référence à son inconsistance. Dans le lieu de l’Autre s’introduit ce trou qui peut se distinguer au titre d’objet a.
Cette conception de l’objet a comme plus-de-jouir introduit à l’idée d’un objet apte à combler le vide d’un Autre inconsistant. L’objet a fonctionne comme lieu de capture de la jouissance, il l’attire, la condense, c’est un trou qui impose une forme à la jouissance. La topologie de Lacan est orientée par la logique qui soutient que pour que quelque chose existe il faut un trou.
En suivant J.-A. Miller (4), disons que ce a, quand il est désigné à titre de structure topologique et de consistance logique, a la consistance du trou et que des parties détachées du corps viennent ensuite se mouler sur cette absence. J.-A. Miller reprend des exemples de Lacan, « l’essentiel de la pulsion scoptophylique, pas toute la pulsion, mais sa forme exhibitionniste, c’est faire surgir dans le champs de l’Autre le regard. L’opération est celle de réaliser, combler le trou dans l’Autre, faisant apparaître dans ce champ le regard. »
Il propose également de séparer la fonction de la substance. Dans sa lecture du Séminaire X, il dit que Lacan indique que cet objet a n’est autre que la présence d’un creux, d’un vide, que peut occuper n’importe quel objet. Et cet objet quelconque, marque de façon intermittente le Séminaire de L’angoisse.
C’est la raison pour laquelle Lacan pourra faire plus tard de l’objet a simplement une consistance logique, c’est-à-dire pas une substance. Quelque soit le charme des représentations de l’objet a et de ses formes, il est nécessaire d’en isoler la fonction.
L’objet a comme unique, comme plus-de-jouir, non comme multiple, sinon comme consistance logique, est un vide. La fonction logique est un vide que le corps devra ensuite satisfaire par la voie des diverses extractions. Dans le Séminaire XVI, l’objet a ici en tant que consistance logique, est une fonction symbolique, et dans un second temps le corps trouvera à se satisfaire dans la recontre avec des bouts de corps, avec les diverses contingences corporelles.
Dans le SéminaireL’angoisse, il y aurait deux temps, celui des objets, dans leur constitution présubjective, et celui où des équivalents se substituent à ces objets dits naturels. Ensuite, avec la notion de plus-de-jouir, on peut ajouter que la fonction plus-de-jouir vient dans une seconde phase, par rapport à une plus primitive.
Et la jouissance du plus-de-jouir, c’est la façon dont prend corps la perte entropique. À ce qui précède répond un supplément de jouissance, le plus-de-jouir, qui le concerne comme supplément de la perte. C’est une façon d’expérimenter « la palpitation de la vie » comme le mentionne J.-A. Miller (5).
C’est ainsi que nous pouvons différencier deux versants de a. Un logique comme ce qui vient occuper le lieu de l’ensemble vide dans l’Autre. Et c’est seulement l’unique consistance logique qui vaut pour quelqu’un, qui impose une forme à la jouissance. Et l’autre est une face substantielle. Les substances épisodiques, à partir de la perspective de la jouissance, susceptibles de s’incarner et de se matérialiser de façon diverse, offrent une forme de jouissance qui n’est pas vide.
Traduit par Véronique de Saint Pierre-Quintana
1– J.-A. Miller, J.-A. L’Angoisse Lacanienne, Piados.
2– J. Lacan, Le Séminaire L’angoisse, Livre X, Piados, p. 338
3 Ibid, p. 256
4– J.-A. Miller, Cours « Illuminations profanes », 23-11-2005, inédit.
5– J.-A. Miller, « Une lecture du Séminaire D’un Autre à l’autre », dans la Cause freudienne n°64
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PONCTUATIONS SUR L’OBJET a
Isabelle Durand [email protected]
Le vide structurant
La production de l’objet a en tant que plus-de-jouir résulte d’un vide structurant et présente, pour ainsi dire, deux valeurs ou deux faces.
Dans le séminaire X, L’angoisse, Lacan fait quelques références au vide. Il avance qu’il n’y a rien de plus structurant que la forme du bord du vase1. Mais, dans ce séminaire, l’objet a est présenté à partir du corps et les objets sont des extractions corporelles.
Dans le séminaire XVI, D’un Autre à l’autre, l’objet a comme consistance logique apparaît au premier plan. A vrai dire, il y a une complémentarité entre ces deux perspectives : l’objet a en tant que consistance logique est une fonction que le corps doit satisfaire via différentes extractions corporelles. Nous pourrions dire que dans ce séminaire Lacan s’occupe de la structure, de la fonction f(x), tandis que dans le séminaire X, il s’atèle plutôt à l’argument, à la variable « x ».
L’avantage d’aborder l’objet a à partir de la perspective du séminaire XVI, c’est-à-dire en tant que consistance logique, tient dans le fait que nous sommes avertis du danger d’identifier l’objet a à quelque chose de concret. La logique, dans le séminaire XVI, vient à la place accordée à la biologie dans le séminaire X2. L’objet a, abordé à partir de la structure topologique, prend la substance du trou. Ce n’est que dans un second temps que des morceaux de corps viennent se mouler, s’accommoder à ce vide-là.
Tout au long de son enseignement, Lacan aborde l’objet a en rapport au vide. Depuis le séminaire VII l’objet a est esquissé à partir de la référence heideggérienne du vase. Celle-ci introduit en même temps la valeur moins (-) et donne la possibilité d’un remplissage. « C’est le vide qui crée »3 dit Lacan. Ensuite, ce trou, produit par l’annulation du signifiant, pourra être colmaté par un objet mais toujours de façon insuffisante ou inadéquate.
Dans le séminaire VIII, Le transfert, l’objet a est un lieu vide et, en tant que tel, n’importe quel objet peut s’y loger4.
Aucun objet n’a plus de valeur qu’un autre. Ceci implique d’une part le deuil de l’amour, de l’objet unique et, a contrario, l’accord avec la pulsion5.
Lacan reprend la fonction du vide dans le séminaire XI au moment où il fait référence à Freud. Il nous rappelle que la pulsion est sans objet et que quelque chose est à fixer. En effet, l’objet de la pulsion freudienne est essentiellement interchangeable. La pulsion peut être inhibée quant à son but tout en obtenant, malgré tout, satisfaction.
La conclusion de Lacan au sujet de la pulsion freudienne est que nous confondons souvent l’objet a avec le point de fermeture de la pulsion. L’objet de la pulsion est totalement indifférent. Ici, Lacan propose la structure du plus-de-jouir sous la forme de l’objet entouré par la pulsion. Il indique que cet objet a est seulement la présence d’un trou, d’un vide pouvant être colmaté par n’importe quel objet6. L’objet a ce n’est pas une substance mais un vide topologique, nécessaire à ce que la boucle soit bouclée.
A d’autres moments de son enseignement Lacan avance que le véritable objet de la pulsion est la satisfaction. L’objet a est la satisfaction de la pulsion en tant qu’objet.
L’extimité de l’objet a
Lacan a recours à la topologie dès lors qu’il commence à construire l’objet a. En effet, les termes « extérieur » et « intérieur » ne suffisent pas à anticiper la structure dont il s’agit. La structure de l’objet a est « extime».
Le mot « extimité » est un terme inventé par Lacan. Pourtant il ne s’en est servi qu’à deux occasions. C’est Jacques-Alain Miller qui a donné à ce mot la place qu’il occupe aujourd’hui dans la théorie analytique. Et ce, jusqu’à le choisir comme titre pour l’un de ses cours7.
Il s’agit d’un concept qui comprend un paradoxe car il désigne le plus propre comme étant à la fois le plus à l’extérieur. Depuis « Fonction et champ de la parole et du langage »8 Lacan recourt à la topologie pour rendre compte de la structure de l’inconscient. Il a choisi comme représentation intuitive la forme tridimensionnelle d’un tore où le périphérique et le central se confondent. Néanmoins, ce sera à partir de la construction de l’objet a que le recours à la topologie deviendra constant. Le huit inversé répond aussi à la structure de l’objet a. Il est à la fois le circuit lui-même et ce qui choit du fait de la coupure opérée à partir de son cercle. Nous pouvons dire que cette structure est l’objet a en tant qu’extime.
Lacan distingue la jouissance évacuée comme trou et la jouissance comme plus-de-jouir. L’objet a est à la fois trou et bouchon9. Il désigne autant l’absence de ce qui manque et le bouchon qui la colmate. En conséquence nous pouvons dire que l’objet a a deux faces. L’une positive qui fonctionne comme bouchon, et l’autre équivalente à une absence – donc à valeur négative, marquée par un moins (-). C’est en rapport à cette deuxième face que nous pouvons dire que l’objet a inclut la castration. L’objet a est à la fois le plein et le vide. Lorsque nous parlons de l’objet a en tant que plus-de-jouir, nous faisons référence au côté « plein ». Par contre, quand nous abordons l’objet a comme « vide », nous pointons l’autre face, le trou ; c’est-à-dire l’objet a comme cause de désir.
Au sein de cette consistance logique marquée par le vide se loge un plus-de-jouir en tant que consistance corporelle. La consistance de l’objet a est ce qui donne lieu au plus-de-jouir.
Lacan a recours à la topologie sans abandonner la logique. Il ne passe pas de la logique à la topologie. Sa topologie est orientée par la logique. Et l’axiome de la topologie est : pour que quelque chose existe il faut un trou10.
L’objet a comme consistance logique
Pour comprendre la raison pour laquelle nous disons que l’analyste s’inscrit dans la même série que l’objet a, nous devons le dé-substantialiser11. Ce n’est pas la substance de l’objet qui compte mais sa fonction. L’objet a est une consistance logique, une fonction. Si le sevrage est traumatique, si nous le désignons comme étant une préfiguration de la castration, c’est parce que le sein de la mère ne lui appartient pas. Il fait partie du sujet12. Pour l’analyste c’est la même chose. Il ne faut pas reculer, dit Miller13, en admettant que l’analyste appartient au patient, il est un organe du patient. L’analyste est un organe irréel du patient. Miller avoue que c’est une façon un peu crue de parler de ce que Lacan appelle « un semblant ». L’analyste est un semblant d’objet, il représente l’objet a. Il s’agit d’une représentation matérielle dudit objet. Et l’objet ne peut accéder au statut de semblant que s’il se soutient d’une consistance logique. C’est pourquoi à chaque coupure de séance le patient est confronté à la castration, c’est-à-dire à une perte de jouissance.
En tout cas, quand nous parlons d’objet a, il faut distinguer le réel de cet objet, son vide topologique de son statut de semblant14.
Il faut se rappeler que quand nous traitons quelque chose de forme logique nous la considérons comme déduite d’un savoir démonstratif. En conséquence, il y a l’idée de nécessité. Quelque chose se déduit, et en dehors de ça rien d’autre ne peut en être déduit. La logique implique qu’une fois le point de départ posé, une série commence.
Il s’agit d’un appareil signifiant subordonné à un impératif de cohérence et, sans cet appareil, il n’y a pas d’impossible. L’impossible dépend de la prémisse, du semblant. Le réel comme impossible est une catégorie logique. Nous pouvons déduire que quelque chose est impossible à condition de la mettre en relation à une prémisse logique. Cela veut dire qu’il n’y a pas de réel en tant que tel, mais qu’il dépend toujours du signifiant. D’où la nécessité d’admettre que la catégorie du réel relève du signifiant. Et ce, pour pouvoir dire que l’analyste fait fonction d’objet a15.
Le symbolique précède l’objet a. Il ne s’agit pas d’un réel à l’état brut, déconnecté, mais d’un réel produit. L’objet a plus-de-jouir est un produit du langage. A mesure que le signifiant prend le pas sur la chose, l’objet a apparaît comme un condensateur de la jouissance. Cet objet a n’est donc pas quelque chose qui précède, mais plutôt un produit. Il est un produit de l’effacement de la jouissance, opéré par le langage. Sa consistance logique prend sa valeur à partir de l’inconsistance de l’Autre.
Dans le séminaire XVI, Lacan reprend le paradoxe de Russel16 pour illustrer l’inconsistance de l’Autre, et par conséquence, la consistance de l’objet a. Le paradoxe de Russel se résume à l’impossibilité de faire un ensemble, c’est-à-dire, de faire un tout. Russel s’appuie sur l’exemple d’un barbier qui se propose de raser tous les hommes de son village qui ne se rasent pas eux-mêmes. La question sans réponse est de savoir si le barbier lui-même entre dans cet ensemble-là. Ce paradoxe qui nous amène à ne pas pouvoir mettre le barbier ni dans un ensemble ni dans l’autre, fait de sa logique quelque chose d’inconsistant.
Du côté de la topologie, l’objet a est le trou qu’implique l’inconsistance du A barré. Le trou n’est pas le manque. Le trou est ce qui permet que le cercle intérieur de l’Autre soit contigu au cercle extérieur.
L’objet a comme plus-de-jouir
L’objet plus-de-jouir est une nouvelle définition de l’objet a. Lacan l’introduit à partir du séminaire XVI. Il est construit sur le modèle de la plus-value de Marx. Nous pouvons voir de quelle façon il reprend et dépasse la conception freudienne : « le plus-de-jouir est une fonction de renoncement à la jouissance, provoqué par l’effet du discours. C’est ce qui donne lieu à l’objet a »17.
Pourquoi la plus-value de Marx ? Le prolétariat vend son travail au capitaliste, qui le lui achète à un prix inférieur à sa valeur. La question se pose alors de savoir si, dans cet échange entre le travail du prolétaire et l’argent du capitaliste, il reste une part de travail qui ne se paye pas. Marx la nomme comme étant la plus-value. Nous avons deux termes qui s’annulent lors de l’échange : le reste et la plus-value. Celle-ci est l’essence du régime capitaliste. A partir de ce schéma, Lacan construit le plus-de-jouir. Nous y trouvons un autre type d’échange : le discours annule la jouissance, et en tant que reste, l’objet a apparaît comme plus-de-jouir.
En conséquence, il y a un « plus » (plus-de-jouir) car il y un moins (renoncement). Ce «moins » y est introduit sous la forme du discours. Chez Freud, ce « moins » était introduit sous les espèces de la contrainte imposée par la civilisation.
Le paradoxe du surmoi du chapitre VII du Malaise dans la culture18 illustre parfaitement ce circuit. Il se résume ainsi : le renoncement à la jouissance pulsionnelle, au lieu d’apaiser les exigences du surmoi ne fait que les accentuer. Plus on renonce à la jouissance pulsionnelle plus celle-ci nourrit le surmoi qui jouit sur l’objet précis du renoncement.
Lorsque le surmoi amène les pulsions à renoncer aux exigences de satisfaction, il produit un plus-de-jouir que nous appelons l’objet a.
Il est intéressant de souligner que le surmoi s’approprie immédiatement cette jouissance supplémentaire. La jouissance sacrifiée sert le surmoi qui ne cesse d’exiger des nouveaux renoncements. On jouit du renoncement à la jouissance19.
L’exemple paradigmatique de cette façon de générer l’objet a via le renoncement à la jouissance est celui de Kant qui, au nom de l’impératif catégorique, voulait sacrifier tous les objets pathologiques. Lacan a démontré que ce sacrifice de la jouissance à la morale Kant produit un plus-de-jouir. Il nous a révélé qu’à l’intérieur de Kant il y a Sade. C’est-à-dire que le surmoi moral porte la pulsion de mort.
Le séminaire XVI (ainsi que le séminaire XVII et Radiophonie) représente un nouveau virage dans l’enseignement de Lacan. En effet, Lacan introduit la jouissance comme étant un effet du signifiant. Il s’agit du cinquième paradigme de la jouissance (ou jouissance discursive) élaboré par Miller20. Il pose que le signifiant est un appareil de jouissance. A partir de là, Lacan écarte l’autonomie du symbolique, idée sur laquelle il avait fondé une grande partie de son enseignement. Dans le séminaire XVI, Lacan traite le renoncement à la jouissance comme effet du discours. C’est le discours qui produit l’effacement de la jouissance, le « moins ». Un effet de perte est produit ainsi qu’une tentative de récupération de la jouissance perdue. L’objet a est la part de jouissance récupérable, supplément ayant échappé à la mortification.
Jusque là, nous avions la thèse selon laquelle le signifiant produit une mortification sur le corps. Maintenant Lacan introduit une nouvelle thèse qui n’annule pas la première : le signifiant produit la jouissance sous la forme de l’objet a plus-de-jouir.
Ce paradigme implique que l’objet perdu, la jouissance, est un effet du signifiant. On n’accède pas à la jouissance via la transgression mais à travers l’entropie, c’est-à-dire la perte produite par le signifiant. Nous avons ainsi une double relation : d’un côté l’annulation de la jouissance conçue comme effet de signifiant, « entropie », et suite à cette perte de jouissance, la réponse se fait sous la forme d’une jouissance supplémentaire que Lacan nomme : objet a plus-de-jouir.
Il y a une récupération de la jouissance perdue sous la forme de l’objet a en tant que plus-de-jouir, qui vient ici comme une vaine tentative, vouée toujours à l’échec, pour colmater le manque de jouissance produit par le signifiant. Voilà le ressort de la répétition.
Cette récupération de jouissance est induite par le signifiant et c’est la déduction de l’objet a qui fait de lui une consistance logique. Ce ne sera que dans un deuxième temps logique que cette fonction symbolique sera incarnée par un bout de corps.
En guise de conclusion nous aimerions souligner que, bien qu’en identifiant l’objet a à quelque chose de concret nous risquons de tomber dans une illusion substantialiste, il existe aussi le danger inverse : tomber dans un désert de substance. Ceci explique probablement la raison d’être du thème choisi pour le prochain congrès de l’AMP « Les objets a » au pluriel et non pas « l’objet a » au singulier. En effet, si nous n’introduisons pas le corps, le formalisme logique perd tout intérêt21. Une logique incarnée n’est pas moins une logique, et elle nous permet de continuer à utiliser l’objet a pour rendre compte de la jouissance22 et pour pouvoir parler de ce qui est impossible à dire.
Traduit par Beatriz Gonzalez et Romain-Pierre Renou
NB : Ce travail a été présenté dans l’Espace central « Les objets a dans l’expérience analytique » au local du CdC-ELP le 19 décembre 2006
1 LACAN J., Le séminaire, Livre X, L’angoisse, éd. Du Seuil, coll. Champ Freudien, Paris, 2004.
2Ibid.
3 LACAN J., Le séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, éd. Du Seuil, coll. Champ Freudien, Paris,
4 LACAN J., Le séminaire, Livre VIII, Le transfert, éd. Du Seuil, coll. Champ Freudien, Paris,
5Ibid.
6 LACAN J., Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,
7 MILLER J.-A., cours de 1985-1986, inédit.
8 LACAN J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », in Ecrits, éd. Du Seuil, coll. Champ Freudien, Paris, 1966.
9 MILLER, J.-A., Extimité Op. cit. cours du 16 avril 1986, p. 457
10 MILLER J.-A., Los signos del goce in Los cursos psicoanaliticos de Jacques-Alain Miller. 1999, Ed. Paidos, Buenos Aires p. 233
11 MILLER, J.-A. Introduction à la lecture du Séminaire X, l’angoisse de jacques Lacan Op. cit. p. 103
12 LACAN, J. Séminaire X, l’angoisse, Op. cit p. 314, 315 et 318
13 MILLER, J.-A. Los signos del goce Op. cit p. 199
14 MILLER, J.-A. L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique version en espagnol in Los cursos psicoanaliticos de Jacques-Alain Miller Op. cit. p.386
15 MILLER J.-A. Los signos del goce Op. cit p. 213
16 LACAN J., Le séminaire, livre XVI, Op. Cit.
17Ibid.
18 FREUD S., Le malaise dans la culture, Quadrige / PUF, 1998, Paris.
19Ibid.
20 MILLER J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », in Revue de la Cause freudienne, n° 43, octobre 1999.
21 LACAN, J. Séminaire X, l’angoisse, Op. cit p. 233
22 MILLER J.-A., « AMP 2008. Les objets a dans l’expérience analytique » in La lettre mensuelle N° 252, p. 9-10
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NAISSANCE ET SEVRAGE
Carmelo Licitra Rosa[email protected]
Dans Le séminaire X Lacan précise que, même si l’Autre est toujours là, « la réalité de l’Autre » peut varier. Soit ici cet Autre pour autant qu’il s’incarne en une présence subjective, c’est-à-dire être plus ou moins accessible, selon les différentes phases du développement. C’est en particulier avec l’avènement de la demande de l’Autre, au stade anal, que la réalité de l’Autre prend la consistance adéquate pour permettre la constitution de l’objet en rapport à la chaîne signifiante. L’objet anal, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, est donc une sorte de modèle idéal pour concevoir la genèse de l’objet. Toutefois – rajoute Lacan- , le niveau oral peut se prêter à une recherche sur la constitution de l’objet. Avec cette proposition Lacan ne se lance cependant pas dans une énième excursion sur le nouveau-né appendu au sein, et sur le sevrage qui, avec ses séquelles, préfigure le prototype de la perte de l’objet de jouissance primordial. D’un autre côté – remarquons-nous, dans les séminaires précédents, Lacan n’avait pas dédaigné cette référence classique de la doctrine psychanalytique, pour caractériser l’objet partiel, l’objet oral en particulier. De manière inattendue, dans ces passages du Séminaire X, Lacan se déplace sur le moment de la naissance, réévaluant d’une certaine façon les célèbres élucubrations sur le traumatisme de la naissance qu’ont assemblées, peut être un peu hâtivement, Otto Rank et Sandor Ferenczi. Il souligne que c’est là, et non dans le sevrage, que nous voyons surgir l’objet oral1. Mais où donc ici pouvons nous repérer l’Autre ? Il y a indubitablement quelque forçage à vouloir cerner la demande de l’Autre dans la conjoncture de la naissance. L’Autre- réponds Lacan- se matérialise par une radicale extranéité de la réalité extérieure, vers laquelle levivant est poussé par force en venant au monde, expulsé qu’il est de l’environnement fœtal primitif. De l’incidence de cet Autre, conformément aux passages théoriques synthétisés au commencement de ce travail, jaillit l’angoisse, l’angoisse de la naissance, pour le coup. A partir de l’angoisse, nous attendons donc de passer au temps suivant, celui de la cession. Qu’est ce donc qui est cédé ? Mais c’est justement le cri, cri ainsi assimilé à un objet. Sauf que- pointe Lacan- ce cri, qui surgit du nouveau né, s’il le cède intempestivement – comme le seront les fécès intempestivement lâchées-, il s’agit néanmoins de quelque chose avec lequel, à la différence des objets cédés ultérieurs, le sujet ne pourra plus jamais se conjoindre. Cela n’exclue en rien qu’il s’agisse d’expérience subjective, comme l’attestent les signes, à peine esquissés, d’une mimique de la surprise, relevée sur le visage du nouveau-né. Par ailleurs Lacan ne manque pas de souligner la nouveauté absolue qui est celle de situer le cri comme originaire, quasi inaugural du rapport à l’Autre. Car jusqu’alors, quand il en avait parlé – il suffit de lire les « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache »- il en avait fait un moment terminal plutôt qu’inaugural dans le rapport à l’Autre, avec l’intimité de l’Autre comme matrice de notre prochain.2 Le trauma de la naissance n’est donc plus- comme cela avait toujours été entendu- séparation d’avec la mère, mais aspiration dans un environnement radicalement Autre. Mais alors, quel est le rapport entre ce moment de la naissance et le sevrage, où on reconnaît plus clairement, au moins sur le plan simplement phénoménologique, la séparation ? Le lien entre la naissance et le sevrage – n’est pas facile à établir, admet Lacan- ceci du fait qu’ils soient « contemporains » 3 et se recouvrent. Pour le reste, alors que la séparation de la naissance est subie, le sevrage est « actif » : l’enfant n’est pas sevré, mais se sèvre, jouant à se détacher et à se rapprocher du sein. C’est grâce à cela que l’on peut parler d’un désir de sevrage, et que peuvent se concevoir les formes précoces d’anorexie, c’est-à-dire de refus du sein, en tant qu’il est déjà corrélable à un dialectique avec la grand Autre4. Toutefois– relève Lacan- il manque à ce premier objet oral le plein lien avec l’Autre, du fait que cet objet ne puisse être mis en jeu dans la partie qui se joue avec l’Autre. L’objet est à situer du côté du nouveau-né.5 N’étant pas du tout du côté de l’Autre, cet objet ambocepteur est cependant « le premier signe » du lien avec l’Autre 6– et donc son statut d’objet transitionnel est pleinement légitime- d’où son rapport avec l’angoisse7 Pour un rapide résumé, je vous invite à vous référer au schéma tripartite de la page 190 du Séminaire X, auquel recourt Lacan pour la production de l’objet.
Dans le premier moment nous situons l’Autre constitué par l’environnement externe, dans lequel à la naissance, le nouveau-né a été poussé de force; dans le second moment, il y a l’angoisse, qui toujours surgit devant l’altérité ; dans le troisième temps, la genèse de l’objet, évidente dans le cri qu’il laisse échapper. Sauf que, au moins à ce premier niveau oral, le cri, objet produit, ne peut être récupéré, pour être ensuite assumé en tant qu’objet cause au sein du fantasme, comme le voudrait la structuration contemporaine de ce moment. C’est justement pour cela, que dans cette structuration du fantasme, un autre objet est utilisé, l’objet oral – sein ou téton- objet interne autour duquel est centré le sevrage, et qui a l’avantage d’être dans un rapport de contiguïté temporelle. C’est du fait d’une simple contiguïté temporelle- semble dire Lacan- que l’objet de nutrition vient se prêter à cette première dialectique avec l’Autre qui au contraire vraiment tourne autour du cri d’angoisse de la naissance. Il y a donc une claire superposition entre le cri – l’objet proprement oral qui se produit dans la cession – et le téton-sein – l’objet de nutrition- qui, bien qu’appartenant au sujet – c’est du moins sur cet aspect qu’insiste Lacan- est utilisé dans la primitive dialectique avec l’Autre comme élément pour construire le fantasme oral. Fantasme qui donne appui à un désir en tant qu’ « actif »8, qui soutient la demande orale, demande qui est adressée par le sujet à l’Autre pour en obtenir une réponse qui soit de l’ordre du désir, c’est-à-dire qui ne se limite pas aux dispenses de soin.
Traduit par René Fiori
1 Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil 2004, pp377-3782 ibid p 3783 ibid4 ibid p, 3795 ibid, p 195 6 ibid , p 379 7 ibid , p379. 8 ibid
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CONSISTANCE ET IRRÉALISATION DE L’OBJET a
Luisella Brusa[email protected]
Je voudrais m’arrêter sur deux affirmations de Lacan au sujet de l’objet oral et une autre sur l’objet a. Les premières se trouvant dans Le Séminaire X, la troisième dans L’acte psychanalytique, mentionnée par Catherine Lazarus-Matet dans Papers n°2.
1. Topologie de la disjonction Manque dans l’Autre et separtition de l’objet
Chacun des cinq objets a naturels comporte un certain niveau de subjectivation avec ses propriétés. Lacan soutient que dans la pulsion orale, on peut saisir quelque chose qui est élidé, ou renversé, dans les étapes ultérieures. S’y montre le réel de l’angoisse, la non-coïncidence du manque au niveau de l’Autre avec l’objet cause du désir. « Le rapport à la mère pour autant qu’il se profile dans l’image du vampirisme, voilà ce qui nous permet le point d’angoisse du point du désir. Au niveau de la pulsion orale, le point d’angoisse est au niveau de l’Autre […]. »1. L’objet cause du désir est au contraire du côté du sujet, produit par la sépartition, la partition interne au sein. « Voilà qui se trouve inscrit dès l’origine, et dès le niveau de la pulsion orale, dans ce qui sera la structuration du désir »2.
C’est là la topologie de la disjonction, avant que l’objet ne soit pris dans les rêts de la demande3, où l’objet du désir est placé du côté de l’Autre et l’angoisse est déplacée sur la cession de l’objet. Cette disjonction est d’une importance capitale, en tant que tremplin qui permet à Lacan de penser une analyse comme finie, qui n’échoue pas sur le roc de la castration ; sur le désir du phallus comme objet incluant en même temps l’objet cause du désir et l’objet du manque constitutif de la satisfaction, c’est-à-dire du manque impliqué dans le symbolique. « …nul phallus tout-puissant, n’est de nature à clore par quoi que ce soit d’apaisant, la dialectique du rapport du sujet à l’Autre, et au réel»4.
« Ce n’est pas ça »
Ce sur quoi Jacques-Alain Miller a attiré notre attention, dans le programme de travail pour le Congrès, c’est ce que montre Lacan au niveau oral, que le sein nutritif et le sein érotique sont deux réalités distinctes. La mamme est et restera le soutien du rapport au désir. « La mamme deviendra ultérieurement l’objet fantasmatique. Il y a, d’autre part, ailleurs, le point d’angoisse, où le sujet a rapport avec son manque. Ce point ne coïncide pas avec la mamme. Il est en quelque sorte déporté dans l’Autre, car il est, au niveau de la mère, suspendu à l’existence de l’organisme de celle-ci »5. Dans le schéma indicatif, la mamme, l’objet cause du désir, qui est cédé, est du côté du sujet, partition interne au corps fragmenté ; et l’angoisse est du côté de l’Autre, appendue à la possibilité que l’Autre puisse manquer.
Un morceau de corps est cédé avec son consentement, l’enfant se sèvre, « c’est le désir de sevrage» ou « désir de séparation »6 qui habite l’être parlant. Dans le même temps, il y a intrusion de l’Autre, si l’on suit la métaphore de l’atmosphère qui entre dans les poumons du nouveau-né au moment où il quitte l’environnement intra-utérin. Mais cet Autre de l’intrusion est d’une autre substance, soit l’autre symbolique de la présence-absence. Cette substitution, qui introduit l’objet comme rien, laisse insatisfait le sujet, qui se rabat sur le morceau de corps réel cédé aux fins de réparer la perte – Ici Lacan reprend les termes de l’insatisfaction structurale du symbolique du Séminaire IV.
Nous pouvons y voir une première version du « Ce n’est pas ça ». Le refus du sevrage serait constitutif de ce passage, par conséquent universel. Mais le même sein réel, après ce virage, « ce n’est plus ça ».
Suivant les résonances de la métaphore de l’atmosphère qui, dans le moment de son intrusion, asphyxie le nouveau-né, l’Autre ici n’est pas seulement symbolique. Après avoir cédé un morceau de corps, le nouveau-né incorpore un Autre qui est symbolique et réel : lalangue.
2. L’Autre consistant
« Il croit que a, c’est l’Autre, et qu’ayant affaire à a, il a affaire à l’Autre, le grand Autre, la mère»7.
À travers l’analyse de la pulsion orale, Lacan introduit l’accès à l’Autre par la voie de la pulsion. Nous savons qu’il reviendra plus d’une fois sur le double accès à l’Autre8.La relecture fantasmatique définit cet accès à partir de chacun des objets pulsionnels, qui tour à tour viennent s’acquitter de la fonction définie de l’objet a.
Dans Le Séminaire X, ce moment primitif, où l’objet a et l’Autre se confondent, où l’objet a est pris pour l’Autre, a un commencement logique au niveau du rapport avec l’objet oral, alors que s’établit la matrice de a.
C’est pour cela que l’oral est l’objet de l’analyse kleinienne de l’envie, premier objet pulsionnel qui devient le dernier dans l’élaboration régressive du parcours analytique. Il est l’objet qui supporte l’idée kleinienne de fin d’analyse, celle d’une élaboration de l’ambivalence pour l’objet source de vie9.
L’ambivalence décrit ce double mouvement entre désir de sevrage et refus de sevrage. C’est une dialectique à deux termes, infinie, dans laquelle M. Klein identifie la nécessité d’articuler la question de la fin.
Nous n’ouvrirons pas ici la discussion sur cette théorie.
L’important pour notre propos est de marquer que Lacan va au delà du deux. Il s’agit d’accéder au réel du « il n’y a pas de rapport sexuel ». La dialectique à deux n’existe pas. Chaque rapport social se constitue du non-rapport sexuel comme trou. Trois au moins, et non pas deux, sont en présence. On peut compter deux à partir du trou qui rend possible l’altérité, donc de trois10.
Le trou prend consistance de la substance de l’objet pulsionnel. Désactiver l’inertie de la jouissance de cet objet ne se produit pas avec l’élaboration, mais avec l’irréalisation de cet objet, avec sa dé-substantialisation.
3. « La production…d’un irréel »
Le récit analytique qui surgit de l’association libre construit un roman où converge l’effort de mettre en paroles ce qui fait la souffrance d’un sujet, la dimension traumatique de sa vie.
Lacan constate que le nombre des années n’y suffit pas, pour ce qui concerne la cause de cette souffrance, cause de la perpétuation du dire du sujet, et de sa dilection pour l’analyse. Cette cause repose ailleurs, ne pouvant être jamais entièrement dite. On ne peut la dire que comme : « Ce n’est pas ça».
Cerner toujours plus près de ce dont il s’agit, ce que c’est que « ça », « ça » qui reste toujours élidé et toujours vif, c’est le sceau de sa propre recherche, dit-il à la Columbia University11.
Les coordonnées du fantasme que le récit met en scène, encore et encore, sont un mur ultime qui ne voile pas la vérité, mais en montre au contraire la structure de fiction. La cause « ce n’est pas ça », repose ailleurs, impossible à se dire. En échange le récit et le fantasme montrent que dans les lieux définis par les zones érogènes du corps, plus ou moins, stagne une jouissance autoérotique qui maintient le sujet dans les mailles de la condition dont il pâtit.
Chaque cycle analytique qui libère le sujet des voies obligées de l’automaton, et par conséquent qui le met face au vide qui appelle une invention dans le rapport avec l’Autre, mobilise la résistance du sujet. On voit qu’elle s’appuie sur la fusion de son rapport avec l’objet : voici qu’apparaît la dévoration de l’Autre, l’expulsion, et toutes les variétés érogènes que la clinique a classifiées depuis les premiers temps freudiens. La Triebregung recourt à son objet.
Cycles
Chaque phase analytique dé-substantialise ces objets, les allégeant et ouvrant à la possibilité de leur usage. Ainsi les fonctions du corps liées aux orifices sont allégées de leur portée érogène, et peuvent accomplir leur tâche physiologique. Et les objets naturels – regard, voix – peuvent, eux, accomplir la fonction qui leur est assignée dans la culture, dans les relations sociales et entre les sexes. Le sujet peut se détacher des œuvres qu’il a produites et les laisser circuler par le monde.
Nouages sinthomatiques
La consistance corporelle du « ce n’est pas ça » est donc le fruit de la consistance donnée par un certain nouage des trois registres. La citation reprise par Catherine Lazarus-Matet lève le voile sur le destin de cette consistance dans le mouvement final. Le nouage du trou du réel en jeu déplace le « ce n’est pas ça » vers l’impossible à se dire et à s’imaginer, qui est justement le réel dans son être troué, c’est-à-dire dans son ek-sistence. Il s’agit de le prendre par le côté approprié. C’est dans ce sens qu’on peut ainsi lire la longue dissertation dans RSI sur la possibilité d’avoir deux nœuds orientés12, dans une version du père qui ne soit pas père-verse, ou orientée vers l’objet, mais dans une version de père-sinthome.
Ce nouveau nœud tiendrait ensemble les trois registres passant au travers des trois trous, le trou du symbolique, celui de l’imaginaire, et celui du réel13. Cela faisant ainsi dé-consister le réel, saisi dans son pas-tout par le nouage. « …il peut y avoir un des trois, le réel sûrement, qui lui se caractérise justement de ce que j’ai dit : de ne faire tout, c’est-à-dire de ne pas se boucher »14. Lacan insiste pour dire qu’il s’agit d’une ligne droite et non d’un cercle, précisant que la ligne droite est infinie, pas-toute. Le nouveau nœud retranche substance corporelle et consistance imaginaire. En résumé, il irréalise l’objet a, qui montre ainsi son être de semblant, laissant ek-sister le réel auquel il donnait consistance.
Traduit par René Fiori
1 J. Lacan, Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 272.
2 Ibid, p. 273
3 C. Licitra-Rosa, Papers N°2
4 J. Lacan, op. cit., p. 276
5 ibid, p. 271
6 ibid, p. 379 et 380
7 Ibid, p. 350
8 « L’Autre est ainsi matrice à double entrée, dont le petit a constitue l’une de ces entrées, et dont l’autre…qu’allons-nous en dire ? Est-ce l’Un du signifiant ? », RSI, leçon du 21-01-75
9 M. Klein, Sui criteri per la conclusione di un trattamento psicoanalitico (« À propos des critères pour la conclusion du traitement psychanalytique ») 1950, Scritti 1921-1958, Bollati Boringhieri, Torino, 1978-
10 « Le départ de tout nœud social se constitue, dis-je, du non rapport sexuel comme trou. Pas de deux, au moins trois, et ce que je veux dire, c’est que même si vous n’êtes que trois, ça fera quatre », « RSI », 15 Avril 1975
11 « ce n’est pas tout à fait ça », Conférences et entretiens, Scilicet 6/7 , p. 48
12 J. Lacan, « RSI » , séminaire du 8 Avril 1975
13 J. Lacan, « Le phénomène lacanien », Les cahiers cliniques de Nice, N°1, Monaco, juin 1998, p. 22. « Ce qu’il y a comme trou au centre de ce corps, dont nous ne savons que ses proliférations imaginaires. Il doit y avoir un trou aussi au cœur, au centre du réel. C’est ce que permet de se figurer cette configuration torique que j’articule du nœud borroméen ».
14 J. Lacan, « La troisième », Lettres de l’EFP N°16, Rome, 1974 – 31 octobre/3 novembre
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