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PIPOL NEWS 39
Marcela et son tout-seul
Patricia Bosquin-Caroz
(Paru dans LQ n°307)
Dans les jours qui ont suivi sa condamnation par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, je me suis procurée l’ouvrage Belle et bête et l’ai lu. J’ai ensuite proposé à la Commission Pipol d’emboîter mon pas. Un débat électronique a eu lieu, une semaine durant sans discontinuer !
La Commission s’est passionnée, divisée, embrasée et finalement apaisée ! Une première interprétation du nouveau titre de Pipol 6 proposé par Jacques-Alain Miller, « Après l’Œdipe les femmes se conjuguent au futur », en est sortie. Certes, Marcela enflamme, mais pas seulement ! J’ai aimé ce livre parce qu’il a fait vibrer en moi quelques cordes sensibles.
La femme et la vérité
Enfant, j’ai très tôt été fascinée par un personnage féminin de l’Histoire de France : Jeanne d’Arc. Je suivais avec ma grand-mère le théâtre de son procès mis en scène et diffusé sur le petit écran. J’ignorais à l’époque que ce théâtre deviendrait plus tard celui de mes songes les plus privés et donnerait ensuite son cadre au fantasme : une femme est sacrifiée. Bien après, dans mon témoignage de passe, j’ai fait état de la figure christique sublimée, nom d’Idéal, capiton de ma fenêtre fantasmatique ; mais jamais celle plus hideuse qu’elle masquait : une femme est brûlée vive. Je l’ai évoquée par le biais d’une phobie, ensuite par celui d’une fiction pulsionnelle, montage, fait d’une bouche, de regards et de feu.
Dans la passe, la fiction est un recours nécessaire pour parler de l’intime, sans en violer son secret. Je m’en suis donc tenue à la version du corps cloué, ensuite à celle du corps bouffant-bouffé et j’ai laissé dans l’ombre l’évocation du corps calciné. Sans figure, sans représentation, le corps consumé n’émeut pas. Il n’est que ruine, désastre, anéantissement. Tentation et risque suprême. Pensons aux kamikazes, et à leur traduction surmoïque de l’énoncé bien connu des lacaniens : « Père ne vois-tu pas que je brûle ? » Cendres ou poussières, il se confond avec l’innommable qui gît derrière le masque. Lacan dans sa préface à l’Eveil du printemps fait de l’Homme masqué, un des Noms-du-père et donc un des noms de La femme qui ne s’écrit qu’à barrer le La. L’Homme masqué tire vers la vie. Le masque lui, voile l’impossible à dire le rapport sexuel et la mort. Lacan a formulé l’impossible écriture de la femme et du rapport sexuel. Entendez, La femme et non les femmes. Elles, au contraire, sont vivantes, incarnées, elles regardent du côté de la vie, tout comme l’homme masqué de Wedekind. Elles s’écrivent au singulier pluriel et même se conjuguent au futur ! Jeune femme, ma terreur du feu a fait rempart contre le ravage que comportait le fait deparler et surtout de dire La vérité. Lacan évoque dans son séminaire Encore, l’affinité de la femme avec la vérité, mais il souligne à cet égard que l’une et l’autre ne peuvent que se mi- dire. Ainsi, à ma façon un peu kamikaze, la vérité m’a très tôt brûlée. Plus tard, mon amour pour elle s’est révélé explosif. L’analyse m’a appris à m’en faire le démineur. Le déminage implique un savoir sur le fonctionnement de la bombe (pulsionnelle) et en retour un savoir-y-faire. Avec la psychanalyse, il n’est pas question d’ignorance ni d’apaisement thérapeutique. Avec elle il s’agit d’abord de laisser tomber son masque pour aller jusqu’au bout et toucher à l’horreur de sa vérité monstrueuse, celle du réel de sa jouissance. En cela l’AE[1] est une sorte de saint moderne. Il se risque à dire un bout de sa jouissance qui fait son humanité, même si de l’intime il fait un discours public, ré-habillé par la fiction menteuse.
A la lecture de Belle et bête, la corde de l’audace féminine qui se risque à dire la vérité sur l’horreur de la jouissance a certainement et à nouveau vibré en moi. Soulignons que la jouissance est ce qui fait notre humanité et non notre animalité. On imagine mal en effet une truie jouir de l’idée d’être une truie ! Il faut être détraqué par le langage pour concevoir une chose pareille ! Mais de dire la vérité, sa vérité, l’auteure en a payé le prix. Elle a été quasi unanimement décriée, accusée d’être sans foi ni loi pour avoir révélé la vie privée de son partenaire. Elle l’aurait même fait, dit-on, aux fins de le traîner dans la boue. Elle serait alors celle qui a châtré l’homme aimé en écrivant un livre assassin. Le retournement de l’amour en haine dévoilerait in fine la fiction œdipienne que recouvrait l’amour pour le cochon. Autrement dit, ce récit scandaleux aurait eu comme visée de confirmer l’adage populaire selon lequel les hommes sont tous des cochons, pour le bonheur ou le malheur des dames. L’une d’elles, l’héroïne, faisant exception par son acte d’écriture, estocade finale mettant la bête au sol ! Vengeance féminine suprême s’exerçant dans la mise à mort de l’amant ? Ou érotisme sublime… ? L’un et l’autre ? Pourquoi pas ? C’est une lecture possible qui en retour départage les pour et les contre ce procédé littéraire.
L’auto-érotisme tourne court
Si l’inconscient vibre (à grande échelle) à la lecture de cette autofiction, s’il est ému, scandalisé ou révulsé, il peut aussi en être instruit. Aussi, ai-je abordé Belle et bête à la lumière du dernier cours de JAM : « Les tout-seuls » (à paraître cette année). Je me suis laissée enseigner par un récit témoignant au plus près d’un fonctionnement pulsionnel singulier. M. Iacub conduit le lecteur au plus proche de sa rencontre avec la jouissance de son partenaire pulsionnel. La pulsion orale et sa réversibilité serait le commun dénominateur de la rencontre des deux. Deux tout-seuls se fréquentent et échouent à faire lien. Lacan dit dans son séminaire Encore que si le rapport sexuel n’existe pas, néanmoins la liaison, elle, existe. Plus tard il nous apprend que ce avec quoi on fait lien, c’est le symptôme. Le symptôme fait lien, d’où le titre d’un autre cours de J.-A. Miller, tout autant essentiel pour lire Belle et bête : « Le Partenaire-symptôme ». Dans le récit de M. Iacub, les amants ne font pas vraiment lien. L’auteure décrit fort bien l’impossible lien ou liaison durable, ne serait-ce même que dans le moment ou l’espace des brèves rencontres qu’ils ont eues. Elle ne peut créer un lien à partir de son fantasme de dévoration, puisque dans le cas de son partenaire-cochon, la pulsion nes’articule pas au désir. Elle rend avec perfection la rhétorique du UN de la jouissance où l’autoérotisme de la pulsion cannibalique se jacule, sans pour autant s’articuler à l’Autre. Jaculation qui la percute, résonne en elle tout en la laissant toute seule. La pulsion orale auto-réversible est poussée assez loin de sorte qu’elle objecte à tout lien amoureux. Ceci illustre parfaitement ce que J.-A. Miller met en lumière dans son dernier cours à propos de la pulsion du Un. Le récit de M. Iacub dénude ce point et montre comment la pulsion ne s’embarrasse pas de l’amour. Ce qui ne veut pas dire que la pulsion se passe complètement de l’Autre, mais l’Autre est ici réduit à son corps, réellement. De là, elle en déduit les coordonnées du passage à l’acte final (fait ou fiction, peu importe ici). « Ces rencontres que j’avais tant aimées n’étaient pas une espèce de sublimation, une forme de sexualité alternative, une perversion fantasmatique, mais un avant-goût. Ce que voulait le cochonétait me dévorer. Comme tu ne pouvais pas le laisser faire, comme c’était dangereux, il devait se contenter de ces étranges séances que nous avons eues pendant sept mois… »
Avec Belle et bête, l’auteure nous emmène au pays des « Tout-seuls », réalité ou fiction postoedipienne. M. Iacub s’y inclut et ne dénonce pas ce qui d’elle-même l’a conduite au bord de l’abîme. Elle en fait le constat. L’écriture lui sert, non pas à accuser, mais comme elle le note elle-même, à se préserver d’un danger.
[1] « Analystes de l’École », psychanalystes qui, au terme d’une procédure dite de la « passe », sont jugés susceptibles par la commission responsable dans chaque école de l’AMP, de témoigner des problèmes cruciaux de la psychanalyse.