PIPOL NEWS FLASH 18
Trois questions posées à Claude Oger, participant aux simultanées de Pipol VI*
Avant d’être psychologue, tu travaillais comme psychomotricien dans un hôpital, Comment qualifierais-tu le passage de psychomotricien à une pratique analytique ?
La clinique en hôpital psychiatrique avec les enfants m’a confronté dès le début de ma pratique à un élément hétérogène au discours qui m’avait formé à l’université. Je le saurai plus tard cet élément se nomme jouissance. De celle qui déchaîne les corps des sujets psychotiques et autistes que je rencontrais. Ayant à l’époque une grande foi en la science, celle-ci se trouvait impuissante pour répondre à ce « phénomène » et me confrontait, en conséquence, à ma propre impuissance. Je dus me résigner à me tourner vers la psychanalyse. Résigner parce que ce discours était si éloigné de mes habitudes et de ma pensée scientifique que j’en fis d’abord un usage sur le mode du discours du maître. Mais le réel fait toujours retour et me conduisit sur le divan. Il y a donc là dans ce parcours, un passage que je qualifierai de logique car du point de vue éthique il y a un « ne pas renoncer sur son désir. »
Tu viens à PIPOL nous parler de l’institution dans laquelle tu travailles à Laval, mais tu exerces aussi au BAPU ainsi qu’à l’université en tant que « chargé d’enseignement » peux-tu nous dire un peu sur ces différents postes ?
Ma pratique avec les enfants en institution est ancienne mais celle au CMPP de Laval est différente car elle ne se contente pas du suivi clinique « classique » des enfants et des adolescents. Elle est très ouverte sur la cité. Nous allons fréquemment sur le mode du CIEN faire conversation avec des lycéens, des collégiens dans les établissements scolaires. Nous provoquons aussi des rencontres avec nos partenaires notamment en organisant des journées d’étude. L’ouverture, c’est aussi des rencontres de l’équipe du CMPP avec des psychanalystes de l’ECF pour un travail autour de textes théoriques et des cas de notre clinique. Nous inventons aussi de nouveaux dispositifs : pour l’accueil des demandes, pour recevoir des adolescents le « Point.,Virgule » rencontres sans rendez-vous. Le BAPU de Rennes accueille des étudiants et des lycéens qui sont dans un moment charnière de leur vie. Moment qui décide de l’orientation de leurs désirs. En mars dernier nous avons organisé un après-midi d’étude intitulé « Avoir 20 ans au XXIème siècle ». C’est une clinique de « Après l’Œdipe » où les symptômes ont plus à voir avec le désordre qu’avec le conflit et où le supposé savoir n’est pas souvent au rendez-vous. Enfin l’université où je travaille avec des étudiants de Master 2 en psychologie. A partir de leur stage en institution, je les accompagne à élaborer et à élucider, en petit groupe, les embrouilles, les trouvailles et pépites qu’ils rencontrent dans leur clinique naissante. J’y apprends beaucoup de leurs questions, de leurs usages de l’institution et de leur subversion des discours de la modernité.
Quel lien ferais-tu entre ton travail dans les différentes institutions et le titre de PIPOL VI : Après l’Oedipe, les femmes se conjuguent au futur ?
La clinique de l’enfant ne peut se concevoir sans celle de la sexualité féminine. Très précocement l’enfant est concerné par la sexualité de la femme qu’est sa mère. Ainsi une grande majorité des enfants reçus au CMPP sont des garçons. À l’inverse, la clinique au BAPU est une clinique, pour beaucoup, de femmes. Souvent confrontées à une jouissance qui n’est pas phallique, elles consultent dans ce moment délicat de passage. Parfois égarées dans leur orientation sexuelle, dans le choix de partenaire amoureux, dans leurs études… Elles comptent sur la parole et ses effets dans la rencontre avec un analyste pour traiter l’impossible auquel elles ont à faire ; là où nombreux sont les jeunes hommes qui ne font pas ce pari.
Le film américain de Harmony Korine, Spring breakers, donne un aperçu de cette jouissance. Il a pour toile de fond cette coutume américaine, le spring break, où pendant une semaine de relâche les étudiants américains partent s’éclater au soleil. Le spectateur vite désarçonné par les fausses pistes du scénario voit quatre étudiantes se transformer en bimbo. Sur fond de sexe, d’alcool, de drogue, de jouissance débridée, on assiste à un rapport de force chamboulé avec les hommes. Les « appelants du sexe » prennent le dessus sur les « tenants du sexe » qui paraissent dépassés, dupés par leur usage obsolète du phallus. Les quatre héroïnes témoignent d’un tout autre usage des semblants, pas toujours plus aisé, mais qui résonnent avec celui de ces jeunes femmes que je rencontre dans ma clinique au BAPU. Peu lestées par le père, dans un lien lâche au phallus ; elles ont comme l’indique Rose Paule Vinciguerra dans PIPOL NEWS 52 « une certaine liberté ».
*Interview réalisée par Claire Piette, par mail