Sans doute l’avez-vous déjà lu ? L’ouvrage de nos collègues rencontre un vif succès… Il concoure au Prix Œdipe 2013 ! Voici la critique qu’en fait Frédéric Rousseau pour le site<http://www.oedipe.org>
Autisme : à chacun son génome
AUTISME : A CHACUN SON GENOME de ANSERMET François et GIACOBINO Ariane Publié chez Navarin Le champ freudien 2012. 96 P.
Ce petit livre est vif. Il n’est pas écrit en langue de bois. La réflexion d’une médecin généticienne se confronte à celle d’un psychanalyste genevois membre de l’école de la Cause freudienne. Un cocktail inattendu mais percutant, qui interroge certes le flou qui plane autour du diagnostic de l’autisme (cf : la notion de troubles du spectre autistique du DSM IV) mais aussi la démultiplication à l’infini des facteurs génétiques soupçonnés d’intervenir dans cette maladie. Cette démarche permet ainsi la prise en compte des facteurs environnementaux dans l’étiopathie de ce trouble : c’est ce qu’évoquent les auteurs sous le terme d’« exposome ». L’intérêt de ce livre réside d’abord dans les questions épistémologiques qu’il pose : « A quoi tient l’irréductible différence entre un individu et un autre ? En quoi ces différences sont-elles héréditairement transmises et génétiquement programmées ».
S’intéressant au décryptage de l’autisme qui s’inscrit dans l’actuelle course effrénée au décodage du génome humain, les auteurs soulignent ensuite que l’autisme s’est trouvé reconfiguré dans les éditions successives du DSM accompagnant l’engouement pour l’étiologie génétique. Le décodage de l’ADN, s’il constitue une avancée considérable, est loin de répondre aux espoirs explicatifs et thérapeutiques qui avaient permis de lever les fonds nécessaire à cette entreprise. Si cette ambition était fondée, la psychiatrie biologique représenterait une rupture épistémologique dans l’histoire de la psychiatrie. Pour qu’il en soit ainsi, il faudrait pouvoir constater un apport substantiel de la neurobiologie à la pratique psychiatrique. Dans une moindre mesure, une perspective réaliste d’un tel apport en ce qui concerne les troubles mentaux les plus fréquents serait nécessaire. Sur ce sujet, j’invite le lecteur à se référer au passionnant article de François Gonon : « La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? », paru en novembre 2011 dans la revue Esprit.
Or nos auteurs terminent leur recension détaillée des travaux effectués par ce constat : « Malgré le nombre de chromosomes explorés, de gènes candidats séquencés, la présence ou l’absence repérée de régions suspects chez le patient ou chez leurs apparentés, on peine à trouver autre chose qu’une multiplicité de régions possiblement impliquées. Aucune de celles ci n’a pu être identifiée comme directement causale de l’autisme ».
Ce qui surgit au cours de cette recherche qui entend comprendre ce qu’est un génome issu de deux autres se combinant pour n’en reformer qu’un, de la même manière qu’un individu est issu de ses deux parents, c’est la découverte qu’il s’agit de toute autre chose que de deux moitiés mises ensemble. Dès lors, se pose d’avantage la question de la production de la différence que celle de l’identique.
Mais, dans cette démarche, « nous sommes passé de l’autisme conçu comme une maladie pédopsychiatrique, prise en charge par des soignants à une maladie biologique qui a perdu ses soignants pour y gagner des chercheurs. Au vu de ce tour de passe-passe, il paraît légitime de se demander : où est passé le sujet ? ». Plus concrètement on est passé d’une maladie à un handicap justiciable uniquement d’interventions socio-éducatives . Le mérite de la psychanalyse avait été de montrer que l’autiste demeure un être de relation, doté d’un inconscient, tout comme ses parents, et que les interactions relationnelles et identificatoires sont modifiés par le trouble et que cela aussi est à entendre et prendre en charge .
Les auteurs soulignent que les problèmes effectivement révélés par l’autisme annoncent une révolution dans la conception du déterminisme. Dans un croisement inattendu, ce bouleversement pourrait toucher aussi bien la génétique que la psychanalyse. Car si les avancées actuelles de la génétique débouchent, en termes de causalité, sur une hétérogénéité multifactorielle, en rupture avec les modèles de causalité linéaire qui imprègnent encore notre pensée, alors, il nous faut admettre dans ce domaine la remise en question de l’idée même d’une relation linéaire entre cause et effet.
On découvre chaque jour que, loin d’un codage unique, il existe une multitude de déterminations génétiques – dont les auteurs nous font une recension détaillée – mais que celles-ci sont toujours différentes et propre à chaque cas.
Dès lors, si chaque autiste a sa base génétique particulière, cela amène à lui reconnaître sa singularité. On revient alors sur le terrain de la clinique du un par un, « comme celle promue par la psychanalyse, qui vise justement la singularité la plus irréductible du sujet».
C’est ce constat qui amène les auteurs à nous inviter « à faire face à l’énigme de l’autisme au cas par cas, et à retrouver les voies de la clinique comme expérience de la singularité en tant que telle : une clinique sans a priori, mais pas sans repères, telle que la propose la psychanalyse ».
Les généticiens et psychanalystes affrontent le même point de butée concernant la production de l’unique. Les avancées de la génétique achoppent sur ce qui nous fait semblables : « En quoi la question de l’identique qui est à la base de la recherche en génétique se trouve supplantée par une autre question, à savoir celle de l’ampleur des différences génétiques à la base de la diversité des individus ? »
A lire donc et à méditer…
Frédéric ROUSSEAU, Psychanalyste, Maître de Conférence à l’université Paris VIII
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