News spéciale Journée 2013 Zappeur n°1
Le gamin au cycle…bien à lui.
> Le Zappeur, que certains d’entre vous connaissent déjà, reprend sa course, déterminé, pour la préparation de la 2e Journée de l’Institut de l’Enfant. Apériodique, il se veut preste et accueille vos contributions sur le thème : «L’enfant et le savoir».
> Il est composé de quatre rubriques : Orientations – Le coin des perles – L’enfant qui vient – Moments cliniques.
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> Bonne lecture.
> Daniel PasqualinRendez-vous sur le blog de la Journée
Orientations
Le cycle
> Un collègue de mon institution regardant l’affiche de la prochaine Journée de l’Institut de l’Enfant se demandait à quoi pouvait renvoyer cette course de vélos. Il y a certes la place pour des considérations imaginatives. Mais en fait à rien d’autre qu’au cycle.
> «Ce que Lacan a appelé le sinthome, c’est un circuit de répétition, un cycle de savoir-jouissance qui se déclenche à partir d’un événement de corps, c’est-à-dire de la percussion d’un corps par un signifiant.» Jacques-Alain Miller,«L’enfant et le savoir» Collection de la Petite Girafe n°1, Peurs d’enfants, Paris : Navarin, 2011, p. 19.
> Le réel et la jouissance sont le produit de la marque du signifiant sur le corps. Un sujet qui vient en analyse souffre des mots qui ont blessé. La blessure renvoie avant tout au traumatisme de la langue, à l’effraction d’un réel qui s’écrit.
> La théorie des cycles introduite par J.-A. Miller dans la conversation de Barcelone1, correspond à nos pratiques actuelles avec les enfants et les adolescents. L’accent est mis sur l’effet thérapeutique rapide en psychanalyse qui s’oriente du réel, «réduit la jouissance attachée au symptôme et relance un nouveau cycle dans la direction de la cure».2
> J.-A. Miller propose un premier axiome. Ce premier cycle doit être bref, «parfaitement calculable (…) mais seulement après coup». Vicente Palomera distingue quant à lui le cycle d’une tranche qui relève davantage de la cure interminable. Il part des symptômes qui, «bien qu’articulés en signifiants, ne sont pas uniquement des messages, mais avant tout des signes de la jouissance […] Les effets thérapeutiques rapides sont à considérer comme de nouveaux points de capitonnage que la relecture du symptôme peut produire […] En partant de la logique du symptôme en tant qu’assemblage, il s’agit d’extraire dans une cure rapide le signifiant de ce point de capiton susceptible de donner au sujet un nouveau point de référence»3.
> La théorie des cycles en psychanalyse met l’accent sur les concepts d’interprétation, de transfert, d’acte contrairement aux thérapies brèves basées sur le focus qui visent l’éradication du symptôme. On trouverait là manière de reprendre la distinction proposée par J.-A. Miller dans son intervention du 19 mars, entre la cure analytique et la psychothérapie comme éducation.
> Notons que cette réflexion sur la rapidité des effets d’une cure survient au moment des débuts de l’amendement Accoyer et du rapport de l’inserm sur les psychothérapies. C’est en quelque sorte une réponse aux tenants des tcc.
> Mais que J.-A. Miller ait évoqué le cycle à l’occasion de son intervention sur «L’enfant et le savoir» permet aussi d’apercevoir toutes les conséquences que l’on peut tirer d’une telle conception qui s’oppose, fondamentalement, aux vues développementalistes de l’enfant.L’enfant qui vient
La jeunesse, le bien… le mal et les médias
> Jean-Michel Longneaux est un philosophe qui, dans un ouvrage sorti il y a quelques années4, pose la question du mal en tant qu’expérience vécue. Il est intéressant pour le thème de la prochaine Journée de l’Institut de l’Enfant, «l’enfant et le savoir», de s’arrêter sur le sens de sa démonstration.
> Elle se déploie suivant deux perspectives : le mal du point de vue de l’expérience du corps et le mal du point de vue moral. Il me semble que cela intéresse au plus haut point la question de la jeunesse et peut permettre d’élucider en partie ce que l’on appelle aujourd’hui «adolescence». Le livre retrouve une actualité d’autant plus vive que récemment notre ministre de l’éducation a pu créer la polémique dans une interview à propos de l’enseignement de la morale laïque : il y était justement question d’apprendre à distinguer le bien du mal5.
> Or, le fil de la démonstration de l’auteur, nous mène à la réflexion que le mal que l’on se fait, que l’on fait aux autres ou auquel on s’expose, est parfois la seule manière pour un sujet d’affirmer sa subjectivité ; que l’éducation au nom du bien ne vise qu’à nier le fait que la position morale ne tient que par l’existence du mal qu’elle stigmatise ; qu’ainsi, elle introduit pour celui qui cherche son chemin, l’incitation à ce qu’elle dénonce. Il faut donc se méfier de ceux qui veulent le bien, car pour Longneaux, le bien et le mal ne peuvent s’énoncer que du sujet lui-même. Il constate pour autant qu’une société ne peut s’organiser qu’en tentant de dire ce qu’est le bien et le mal, mais il ne méconnait pas que ce discours n’est qu’un semblant renvoyant à une nécessité.
> Mais il y a plus dans ce livre. Comme dans ces fresques de San Gimignano de Taddeo di Bartolo, où le moine tente de représenter la question du bien et du mal en montrant l’enfer et le paradis, les médias, aujourd’hui, principalement par le truchement d’un discours scientiste essaient de définir une carte du bien et du mal tout en mésestimant la part de jouissance qui s’attache aux deux et dont, parfois pour les jeunes, jeux vidéos, scarifications, insultes… en sont un traitement.
> Longneaux tente de retrouver dans son parcours au sein des discours contemporains, le chemin du sujet quand il est face ou avec le mal.Moments cliniques
Mettre un pied en classe
> Dorian est accueilli dans un ITEP où je suis enseignant, après deux années difficiles au collège : absentéisme et déscolarisation. Voici les moments clés de quatre années de son parcours.
> Dorian est sombre, renfermé, ne parlant quasiment pas. Il ne veut rien faire. Après quelques sollicitations scolaires, je décide de le laisser tranquille, de ne pas ajouter une pierre de plus au mur qu’il construit entre lui et le monde : primum non nocere. Dorian ne fait donc absolument rien. Il reste ainsi de nombreuses semaines, et je commence à m’inquiéter du caractère judicieux du pari tenté.
> Mais un jour, Dorian vient en classe, puis les suivants, devient attentif à tout ce qui se passe autour de lui. Je le sollicite de temps à autre afin d’aider un camarade en difficulté. Je distingue les prémices d’un changement qui s’exprime spatialement: à petit pas, il finit par coller son bureau au mien.Franchissements
> Lorsqu’il se met enfin au travail, c’est lui seul qui choisit ses activités : d’abord exclusivement des arts plastiques, des constructions géométriques, des travaux de symétrie, etc. Il s’y révèle extrêmement appliqué et soigneux. De même, quand il installe un parcours d’obstacles pour l’activité roller : le gymnase est alors entièrement quadrillé : plots à distance précise et régulière, parallélismes parfaits.
> Il commence à discuter, mais sans jamais parler de lui, et participe à différentes activités d’expression. Mais malgré d’évidentes dispositions, Dorian abandonne rapidement, du fait de son perfectionnisme intransigeant ; ses créations ne sont jamais suffisamment réussies à son goût.
> Il accepte ensuite les exercices que je lui propose et s’investit sur la durée dans un travail de lecture-jeu autour d’enquêtes policières. Je n’interviens que très peu, l’assurant simplement de ma disponibilité. Il peut m’utiliser comme un secrétaire voire comme dictionnaire pour avoir une définition. Les pas se font ainsi au gré des pertes et des gains, entrecoupés de crises violentes et spectaculaires, de replis moroses. Au cours d’une période où je suis absent, Dorian refuse de mettre le moindre pied en classe.Au rythme de son pas
> A mon retour, il revient et reprend comme si de rien n’était. Il propose de poursuivre le travail chez lui et suggère même un retour aménagé dans un collège… Cette scolarisation est un échec retentissant. Dorian reprend le fil de nos rencontres. A chaque fois, c’est lui qui donne l’impulsion, décide qu’il est prêt à faire un nouveau pas. A la rentrée, Dorian intègre une nouvelle unité de l’ITEP, hors Institut. Mais la perspective d’avoir à retourner sur le site de l’ITEP avec une enseignante inconnue provoque une explosion de violence. C’est finalement moi qui me rendrai à l’unité une fois par semaine. Dorian consent alors à s’investir dans la préparation de l’examen du CFG, valide aisément la partie «connaissances scolaires» en contrôle continu.
Une sensibilité artistique est aussi un savoir
> Après plusieurs mois, il lui reste à préparer un dossier à l’oral. Il portera sur son goût pour la photographie. Il a, en effet, montré un talent exceptionnel dans ce domaine. Sur ses clichés, nulle trace d’être vivant, mais des paysages, des alignements d’objets, des empilements, des lignes parallèles, des superpositions de plans, des oppositions de couleurs. Il fait preuve d’un sens de la composition d’image, d’une réelle sensibilité artistique. L’image est parcourue de lignes de force, de quadrillages. Il commente : «J’ai choisi de me placer ainsi, de photographier cela, car tel aspect me plaisait…»
Oui et non
> Mais au moment de le présenter pour un oral blanc, Dorian bute et refuse, restant dans la cour sans parvenir à entrer dans la salle où l’attend le jury. Il s’énerve, tourne en rond. Il est angoissé. S’assoyant à côté de moi, je lui dis qu’il serait dommage de ne pas franchir le dernier obstacle : «C’est comme si tu préparais une pièce de théâtre et que tu ne faisais pas la représentation». Du tac au tac, il me répond : «J’l’ai déjà fait !» Il relève la tête, sa mâchoire se décrispe, il sourit. Le lien tissé lui permet de plaisanter de sa radicalité. Le bon mot l’aide à franchir l’angoisse mais l’oral n’aura jamais lieu.
Le coin des perles
Le regard des autres au tableau
> Au cours d’une conversation qui fut menée par un laboratoire du CIEN en 2008 au collège Pablo-Neruda de Bègles6est évoqué ce moment crucial où l’élève, appelé au tableau, doit produire un savoir sous le regard de la classe. Mais les mots vivants qui animent les élèves peuvent-ils être livrés au professeur ? Daniel Sallenave, s’intéresse à cette question à partir d’extraits de cette conversation.
> – Sonia : «C’est parler devant le regard des autres, peur qu’on nous dise quelque chose quand on n’a pas appris sa leçon. On a peur d’être ridicule…
> – Laboratoire du Cien : À travers le regard des autres…
> – Sonia : En math, au tableau, si on fait une faute, si on se moque de nous…
> – LdC : Ça tiendrait à quoi ?
> – Sonia : On a peur d’être ridicule par rapport aux autres.
> – LdC : C’est uniquement au collège ?
> – Sonia : Non, partout…On ne sait pas si on s’habille bien.
> – LdC : Le regard extérieur ? Ou le regard que l’on pense nous ?
> – Sonia : Les deux. Le plus important, c’est l’extérieur. L’intérieur, les autres ne le disent pas. Le regard sur les notes. (…)
> – LdC : Au collège, on dit : on ne dit pas de bêtises. La bonne réponse, ici on s’en fiche. Avez-vous des lieux où vous pouvez vous laisser aller à parler ?
> – Sonia : Sous la douche… Moi j’ai une question : les profs, quand ils disent qu’un élève est silencieux, ça veut dire quoi ? Qu’il dit rien, ou qu’il travaille bien ? Un élève qui se tient bien en classe ou qui fait ses devoirs ? Comment c’est vécu par un prof ?
> – Coralie : Moi je suis sage, mais je ne travaille pas bien, je parlais en classe.
> – Sofiane : C’est pas parce qu’on est silencieux qu’on travaille bien.
> – Najad : C’est pas par rapport au travail, mais au comportement, être sérieux.
> – Sonia : Si on fait pas ses devoirs, ils disent : c’est pas sérieux.
> – LdC : C’est quoi le sérieux ?
> – Sonia : De faire ses devoirs, de pas mettre le bazar en classe.
> – Sonia : On ne sait pas si on est sérieux, ou pas, pour eux.
> – LdC : Après, ça vous pousse à parler ou à vous taire…
> – Sonia : À me taire.»
> J’aborderai ces extraits par le biais de : à quoi ça sert d’apprendre ? À suivre Sonia, ce qui vient sur le devant de la scène, c’est le regard. L’image peut soudain vaciller lorsque l’Autre professoral, comme nouvelle incarnation de la figure du maître, fait retentir sa demande ; demande de restitution de ce qui participe au champ des connaissances : «la timidité, c’est parler devant le regard des autres…» De cette attente de l’Autre surgit soudain le «en défaut», la faute constitutive de la structure. Il y a toujours quelque chose qui échappe à la prise signifiante, au champ de la représentation. À suivre Freud et Lacan, nous avons appris que nous avons à céder une part de jouissance pour nous inscrire dans le champ social. Cela participe du passage nécessaire à l’établissement de toute formation humaine. Les adolescents nous ont aussi indiqué combien ce manque constituait justement une fonction d’appel, de la demande afin qu’un sujet sollicite le champ des savoirs, le champ de l’Autre, pour se représenter le monde et dans le monde. Seulement, à suivre Sonia, on s’aperçoit que ce n’est pas si simple. Ce qu’elle dit est à prendre, puisque beaucoup en témoignent, comme une sorte de paradigme spécifique au champ des connaissances. Ce dont elle témoigne, c’est que la mise en jeu des savoirs, qui «habillent», peut profiler, sur la scène des apprentissage, un point de regard qui met à mal son image. Ludovic, dans une autre conversation, évoque, lui aussi le ridicule. À l’horizon du «à quoi ça sert ?», il loge un «à ce qu’on ne soit pas ridicule». On y sent frémir la fragilité de l’habillage moïque. Le pari de la conversation pourrait inverser l’axiome de L. Salvayre et de faire que le goût de parler l’emporte sur la crainte de déplaire.1 Collectif : (s/dir. J.-A. Miller), Effets thérapeutiques rapides en psychanalyse, La conversation de Barcelone, Paris, Navarin, 2005.
2 Ibid., p. 80.
3 Palomera V., «Comment définir une cure rapide ?», La Cause freudienne n°61, novembre 2005, p. 34-35.
4 J.M. Longneaux, L’expérience du mal, Namuroises éditions, 2004.
5On line
6 D. Sallenave, Comment se faire entendre à l’école, sous la direction de P. Lacadée, CIEN, CRDP-Aquitaine, 2008, pp. 59-60.