Le samedi 25 octobre 2014 a eu lieu à Athènes,
à l’Amphithéâtre de l’Hôpital Général « G. Gennimatas », la IIIe
Journée d’étude de la Société Hellénique de la NLS sur « L’École
et la passe », avec la participation de Bruno de Halleux,
AE en exercice.
Prenant pour textes de référence la « Note italienne »i de J.
Lacan et la « Théorie de Turin sur le sujet de l’École »ii de
J.-A. Miller, la première partie de cette journée d’étude a été
consacrée à la théorie de « L’École comme expérience inaugurale ».
La seconde partie, « La clinique de la passe », a porté sur les
travaux de notre invité traitant de « L’amour après la passe ».
I. L’École comme expérience inaugurale
C’est Lacan lui-même, en 1964, dans la Note adjointe à l’« Acte de
fondation » de l’École française de psychanalyse, qui caractérise
l’École d’expérience inaugurale : « Cet aspect s’impose assez,
pensons-nous, dans l’acte de fondation, et nous laissons à chacun
d’en découvrir les promesses et les écueils »iii, comme le
soulignait Anna Pigkou dans son introduction. Et ceci
parce que, comme nous l’explique J.-A. Miller dans l’introduction
de son Séminaire « Politique lacanienne », il s’agit d’une
expérience sans précédent dans l’histoire du mouvement
psychanalytique. « Elle ne poursuit aucune autre »iv. Au lieu de
la Société instituée par Freud sur un « ordre de cérémonie »v,
dans l’École de Lacan, comme le précise Miller, « tout est d’ordre
analytique »vi.
Dans la théorie de Turin, J.-A. Miller revient une fois de plus
sur cette qualification de l’École comme expérience inaugurale,
soulignant cette fois que « L’École est inaugurale dans la mesure
où elle inaugure un nouveau sujet supposé savoir, et que son
histoire est une suite de phénomènes subjectifs analysables »vii.
Afin de mettre en valeur la différence radicale qui sépare une
École de psychanalyse des autres associations psychanalytiques,
Bruno de Halleux, dans sa contribution théorique intitulée « Une
École trouée », s’est appuyé sur le graphe du désir. Il propose de
situer la société au premier niveau du graphe et l’École
lacanienne au second. Les associations, comme il le rappelle,
constituent des groupes de personnes qui se donnent des règles et
des lois valables pour tous, c’est-à-dire, comme le dit J.-A.
Miller, qu’une association répond à des énoncés qui valent « pour
tout x ». Cela ne vaut pas toutefois pour l’École fondée par
Lacan, étant donné que l’ensemble des innovations qui la
caractérisent – c’est-à-dire le fait que sa fondation relève d’un
performatif, qu’elle est un organe de travail, que, dès le départ,
elle prévoyait un contrôle qualifié du praticien en formation, le
fait également que, dans le cadre de cette École, Lacan admettait
comme élèves ses analysants, mais avant tout parce qu’elle a
institutionnalisé en son sein la procédure de la passe – assurent
l’accès au second niveau du graphe, celui qui correspond à
l’articulation du message inconscient qui est en rapport avec S (A
barré), soit le grand secret de la psychanalyse.
Le S (A barré), comme nous l’indique Bruno de Halleux, est
également le lieu où se joue le désir de l’analyste. Ce dernier
prend en charge d’incarner ce point, le trou qui est nécessaire
dans les articulations symboliques et la consistance imaginaire de
l’École afin que soit conservée sa propriété d’expérience
inaugurale.
Il revint ensuite à Dora Pertessi de prendre la parole
pour commenter les passages suivants de la « Note italienne » :
« L’analyste ne s’autorise que de lui-même, cela va de soi. » viii
« Ce à quoi il a à veiller, c’est qu’à s’autoriser de lui-même il
n’y ait que de l’analyste. »ix
« Pas tout être à parler ne saurait s’autoriser à faire un
analyste. »x
« Seul l’analyste, soit pas n’importe qui, ne s’autorise que de
lui-même. »xi
Dora Pertessi a fait valoir la thèse selon laquelle « Il n’y a pas
d’auto-autorisation de l’analyste que du pas-tout ». Lacan,
fait-elle remarquer, se réfère à l’analyste de l’École. Il se
recrute selon la procédure de la passe laquelle est définie dans
un certain nombre de propositions dont l’énoncé négatif n’est pas
sans raison. C’est, en effet, « du pas-tout que relève
l’analyste ». C’est dire qu’il se rapporte à du négatif mais aussi
à quelque chose qui ne peut pas porter le signe de la négation,
comme c’est le cas de l’objet a. Cet objet bien
qu’universel, est particulier quant au mode par lequel le sujet
choisit de se représenter.
Aussi bien s’agissant de l’autorisation de l’analyste,
c’est-à-dire du désir de l’analyste, il y a lieu de se référer en
tout premier lieu sur le particulier de chaque sujet, sur le
pas-tout, sur l’élément de l’inconsistance. Une École aura à cœur,
en effet de « préserver son inconsistance comme son bien le plus
précieux, son agalma »xii.
Pour clôturer la matinée de cette journée d’études, Nouli
Apazidou commenta les passages suivants de la « Théorie de
Turin sur le sujet de l’École » :
« L’École est une formation collective où la vraie nature du
collectif est sue »xiii.
« Le désir de Lacan a porté au-delà de l’Œdipe, et de lui procède
non pas une société analytique mais une École »xiv.
L’École, fit-elle valoir, constitue elle aussi un groupe de
personnes ayant un idéal commun et présentant des phénomènes de
transfert, d’identification et d’idéalisation : elle est une
formation collective.
Sa spécificité, toutefois, repose sur le fait qu’elle est
interprétée par les analystes qui la composent de sorte que le
transfert et l’identification portent en fin de compte sur la
relation unique de chacun avec la jouissance et son objet. Dans la
composition classique d’un groupe, les membres sous-estiment leurs
différences et s’identifient à l’objet extérieur commun
d’idéalisation. Dans ce cas, l’objectif poursuivi est
l’universalité. La loi qui introduit la fonction du Nom-du-Père en
est le garant. Elle vaut pour tous les membres sauf un qui fait
exception et à qui ils ne peuvent que se soumettre. Toutefois
l’École ne se réduit pas à cette logique œdipienne. Reconnaissant
en son sein qu’ « il n’y a pas de rapport sexuel », qu’il n’y a
pas de modèle de jouissance qui puisse nous unir, chacun est
renvoyé en ce lieu où il est absolument seul et d’où il peut
puiser une connaissance qui permettra au groupe de « ne pas être
condamné à disparaître »xv.
II. La clinique de la passe
La question que s’est posée Bruno de Halleux dans son intervention
sur l’amour après la passe est celle de savoir si le fait de se
faire psychanalyser, jusqu’au terme conclusif de l’analyse, change
quelque chose pour un sujet dans son rapport à l’Autre sexe. Et
plus précisément pour le sujet masculin : qu’est-ce qu’une
rencontre amoureuse si le fantasme est réduit à la fin de
l’analyse ?
Si l’on suit Lacan dans son Séminaire XX, on pourrait dire
que le seul rapport du sujet masculin à une femme passe par le
fantasme. C’est la raison pour laquelle l’homme, avant une
analyse, risque de se répéter à l’identique dans ses choix
amoureux qui sont indexés par l’objet de son fantasme, l’objet qui
compléterait le manque à être de l’Autre.
La fin de l’analyse fait perdre consistance à cet autre et dégage
le sujet de ce cadre rigide du « pourtoutisme »xvi qui le garde
embourbé dans l’imaginaire. Il peut dès lors aborder sa partenaire
à partir d’une position qui lui permet de mesurer qu’une fois
l’Autre troué, il se trouve lui-même dans le pas-tout propre au
féminin. Sortir d’un univers du Tout Universalisant permet au
sujet d’aborder une femme comme Une, dans sa différence absolue,
dans une singularité qui ne cesse de trouer toute tentative
amoureuse qui veut croire en une harmonie dans un rapport sexuel
qu’il n’y a pas.
Le sujet masculin peut alors situer l’Autre féminin comme Autre
où, comme le dit Lacan, il ne peut rester que toujours Autre.
Fabian Fajnwaks, rapporte Bruno de Halleux, a cité récemment, lors
d’une conférence, ce passage de Rilke : « Lorsque l’on a pris
conscience de la distance infinie qu’il y aura toujours entre deux
êtres, quels qu’ils soient, une merveilleuse vie à côté devient
possible. Il faudra que les deux partenaires deviennent capables
d’aimer cette distance qui les sépare et grâce à laquelle chacun
des deux aperçoit l’autre entier, découpé dans le ciel »xvii.
La distance infinie entre deux êtres, en conclut Bruno de Halleux,
renvoie à l’impossibilité d’écrire le rapport sexuel. Apprendre à
aimer cette distance qui sépare les amants introduit à une
certaine sagesse dans l’amour. L’amour, avance Lacan dans son Séminaire
L’angoisse, est une sublimation du désir. Il faut, pour
arriver à cette sublimation, pouvoir cerner la dimension
pulsionnelle de ce qui fait l’objet de son fantasme. À cette
condition, un rapport au partenaire devient possible, un rapport
qui transcende la dimension fantasmatique qui ne cesse de
contaminer le désir. Cela donne à l’amour une dignité nouvelle qui
permet une ouverture, un accueil au réel, à quelque chose qui
n’est pas encore là, qui n’est pas programmé, quelque chose qui
relève de la contingence.
Notes:
i J.
Lacan, « Note
italienne »,
in Autres
écrits,
Paris, Seuil, 2001.
ii J.-A.
Miller, « Théorie
de Turin sur le sujet de l’École » (2000), in La
Cause freudienne,
no
74,
2010.
iii J.
Lacan, « Acte de fondation », in Autres
écrits,
Paris, Seuil, 2001, p. 236.
iv J.-A.
Miller, Politique
lacanienne,
ECF, 2001, p. 19.
v J.-A.
Miller, op.
cit.,
p. 19.
vi J.-A.
Miller, « Théorie de Turin sur le sujet de l’École » (2000),
in
La
Cause freudienne,
no
74, 2010, p. 139.
vii Ibid.,
p. 139.
viii J. Lacan, «
Note italienne », in Autres
écrits,
Seuil, 2001, p. 307.
ix Ibid.,
p. 307.
x Ibid.,
p. 308.
xi Idem.
xii J.-A.
Miller, « Théorie de Turin sur le sujet de l’École » (2000),
op.
cit.,
p. 139.
xiii Ibid.,
p. 136.
xiv Ibid.,
p. 137.
xv J.
Lacan, « Note italienne », in Autres
écrits,
Paris, Seuil, 2001, p. 310.
xvi J.
Lacan, « Les non-dupes errent », séance du 11 juin 1974,
inédit.
xvii Rilke,
Lettres
à un jeune poète.