POLITIQUES DU PSYCHANALYSTE – par Réginald Blanchet (NLS)
– Chroniques de crise (2011-2017)
Et autres études de psychanalyse appliquée –
Athènes, mars 2019 – 435 pages – en grec
Donner voix à l’impossible
Les textes qu’on lira dans ce recueil se répartissent sous deux chefs. Il s’agit, d’une part, de la psychanalyse dans la politique, et de la politique du psychanalyste dans la direction de la cure, d’autre part. Les textes colligés dans ce second registre sont en effet avant tout des écrits de clinique psychanalytique. Il s’agit là de la politique entendue au sens général d’une action menée selon un processus logique et dialectique visant à opérer sur le réel. La direction de la cure s’ordonne en effet ainsi dans une stratégie (les fins de la cure analytique) et les tactiques qui la servent (les interventions de l’analyste). Mais il s’agit, de façon plus essentielle, de la politique à proprement parler puisque se trouve de façon constante mobilisé le pouvoir : le pouvoir de la parole et du transfert, mais aussi le pouvoir de la libido et la puissance de la jouissance. Dépositaire pour partie de ce pouvoir le psychanalyste est appelé à en faire usage et à le manier. Il le fait selon son désir, dont Lacan s’est employé à dégager les arêtes en ce qu’il a appelé pour le spécifier dans son caractère inédit dans l’histoire le désir du psychanalyste.
Mais, et c’est sans doute plus inhabituel dans la littérature psychanalytique, le désir du psychanalyste concerne aussi la politique au sens courant du terme, à entendre plus précisément cependant comme l’épitomé du lien social. Sont réunies dans le recueil les chroniques tenues dans Lacan Quotidien[1] à l’invitation de J.-A. Miller, six années durant sous la rubrique de « L’inconscient dans la crise » puis de « L’inconscient, c’est la politique ». Il s’est agi de proposer à la réflexion publique une lecture fondée dans la psychanalyse lacanienne du réel que manifestait l’éruption de ce qui a été épinglé de façon symptomatique du terme de « crise ». Ce fut, c’est encore, le moment aigu de la disruption qui menaçait de faire voler en éclats les équilibres précaires, économiques et politiques, établis en Europe. La Grèce, on ne le sait que trop, en fut le point de cristallisation extrême. C’est donc au commentaire des avatars de la crise grecque que furent consacrés ces chroniques. Il ne s’agissait pas de faire au sens traditionnel du terme de la « psychanalyse appliquée » c’est-à-dire de prétendre expliquer la crise par l’inconscient, ou de chercher les tenants et aboutissants de la politique dans l’idiosyncrasie personnelle des acteurs et activistes politiques, et leurs « complexes inconscients ». Il ne s’agissait donc pas de rechercher les causes de la crise dans l’inconscient, ou même de prospecter parmi d’autres les causes « inconscientes » de la crise et de ses impasses.
Il était exclu en somme de réduire la rationalité de la crise et de son traitement, sa causalité donc, à une causalité d’ordre psychique. C’est la perspective contraire qui fut prise : la perspective de l’autonomie du politique comme tel, saisi dans sa logique propre non réductible à autre chose qu’elle-même. Le parti pris de la lecture était de montrer en quoi « l’inconscient », non pas explique les choix politiques des uns et des autres, mais reste toujours ce à partir de quoi ils les soutiennent. Les raisons des choix sont multiples et diverses, surdéterminées donc, mais les agents qui les mettent en œuvre ou simplement, s’agissant des citoyens en général, les soutiennent, le font à partir de ce qu’ils sont, et y engagent quelque chose de leur être qu’ils le veuillent ou non. L’inconscient ici n’est pas à entendre forcément comme le non-su, mais comme la force de désir et de jouissance, de passion, qui anime le sujet, et se trouve mobilisé dans son acte. Ceci n’est pas sans conséquences. Pour le sujet lui-même mais encore pour la société. Ces conséquences sont à regarder précisément comme l’incidence de « l’inconscient dans la crise ». C’est à les lire que l’on s’est essayé tout au long de ces analyses. Elles démontrent de façon constante l’incidence de l’impossible : l’impossible du lien social que manifeste la politique. Elle se soutient de ce trou, et vient y répondre.
Le psychanalyste est donc requis : pour lire et dire de façon circonstanciée comme on a voulu le faire tout au long de ce reportage, le réel qui se déchaîne, le réel de la jouissance sans loi qui s’alimente d’elle-même sans fin et sans raison. Et Freud plus que jamais est d’actualité : « Les peuples obéissent à leurs passions bien plus qu’à leurs intérêts. Tout au plus se servent-ils de leurs intérêts pour rationaliser leurs passions ; ils mettent en avant les premiers afin de pouvoir justifier la satisfaction des secondes ».[2] Mais le réel qui se déchaîne ainsi dit la maladie propre à l’être parlant : la pulsion ne connaît ni Dieu ni maître. C’est en quoi se justifie l’aphorisme de Lacan selon lequel « l’inconscient, c’est la politique »[3]. Il y va ici de l’inconscient réel, soit de cette jouissance première impossible à négativer et qui, en cela, fait l’impossible de l’être parlant, l’impossible du vivre ensemble dont la formule n’existe pas. Elle est à la racine du politique (du lien politique) et se réfléchit dans la politique qui n’en constitue jamais que l’interprétation à l’état pratique.
Multitudes apocalyptiques – texte intégral en partie communiqué au XIe Congrès de l’AMP à Barcelone en avril 2018 et paru dans LQ n° 771 du 16 avril 2018
DEUXIÈME PARTIE
LE SAVOIR DU PSYCHANALYSTE
1.- L’EXPERIENCE DE LA CURE PSYCHANALYTIQUE
Trouver refuge dans le discours analytique LQ 70L’INCONSCIENT DANS LA CRISE 26 OCTOBRE 2011
L’expérience de la jouissance perverse mise au travail psychanalytique
Le mystère de Théodora
L’emblème au lieu du nom
Comment se séparer du regard ? Quarto n°85, janvier 2006
Maintenir la position du semblant
L’espace transitionnel du transfert
Entrer en présence de l’analyste (Lettre mensuelle, ECF, n°254, janvier 2007)
Le rêve selon Lacan (semblant du désir, réel de la jouissance)
Parole – Scilicet, 2015 – AMP Xe Congrès (2016)
2.- LA LETTRE ET L’IMAGE
Simone Weil : l’écriture du désêtre
L’acte sans retour d’Ernst Wagner
Foucault et la psychanalyse – Interview donnée à Yanis Ktenas pour KABOOM 2015
L’impossible du rapport sexuel : le réel de la psychanalyse (A-ktisto 2008)
Techniques managériales de la souffrance
Liberté – Scilicet, 2018 – AMP XIe Congrès (2018)
Quelle formation pour le psychanalyste ? – Conférence à l’Université d’Athènes du 13/1/2000
La formation du psychanalyste – Commentaire du principe 8 de la « Déclaration » de l’AMP établissant les « Principes directeurs de l’acte psychanalytique » (Rome, juillet 2006).
Jacques Lacan, le psychanalyste du XXIè siècle – paru dans Η Αυγή du 18/9/2011 à l’occasion du 30ème anniversaire de la mort de Jacques Lacan